Un bouquetin en route pour le Mont Blanc Sébastien Chaigneau

Mardi, 28 Août 2012 13:43 Sarah
Imprimer

Vainqueur de la Grande Traversée des Alpes en 2004, triple vainqueur du Lybian Challenge en 2007, 2008 et 2009 et double finaliste de l’Ultra-Trail du Mont Blanc (UTMB) en 2009 et 2011, l’utra-traileur du team North Face Sébastien Chaigneau passe à table pour ZeOutdoor. Avec le sourire.

Sébastien Chaigneau

Le Lybian Challenge, l’UTMB, la Diagonale des Fous, le Grand Raid du Mercantour, le Lavaredo Ultra Trail, la Trans Gran Canaria… tu enchaines les compétitions !

Non, je suis dans une phase de test en ce moment : je viens d’attaquer une période de récupération d’une dizaine de jours avant d’entrer tranquillement dans ma phase préparation en vue de l’UTMB [27 août-2 septembre 2012]. Tout le monde me voit devant, pour l’instant moi je me vois à l’entrainement, j’essaye de rester lucide. Je prends le temps de faire ce que j’ai à faire ; le plus important au niveau de l’entraînement c’est de continuer à se faire plaisir. Les gens s’imaginent souvent que je fais une préparation cinq ou six semaines avant la course alors que la préparation se déroule sur le très long terme, tout au long de l’année. L’objectif c’est de ne pas faire trop de kilomètres, afin de continuer à courir avec plaisir. J’ai déjà essayé de faire beaucoup beaucoup de kilomètres – environ 300 kilomètres par semaine avec 20.000 mètres de dénivelé positif chaque semaine – et une fois au départ, j’étais très fort mais je n’avais plus envie de courir… Donc pour éviter ça, je fais peu de très longues  sorties ; j’entretiens la vitesse, la montagne, je fais des choses un petit peu plus ludiques sans la pression du chrono, je monte au sommet du Mont Blanc ! [Rires.] La chose la plus importante avant chaque course, mais aussi la plus difficile à réaliser, est d’arriver au jour J en forme physiquement et mentalement, et de garder le plaisir intact, de garder le goût de la course !

Justement, comment gardes-tu ce plaisir intact ?

C’est très compliqué… Je m’entraîne tout seul, tous les jours, toute l’année, quelle que soit la météo. Même cet hiver, par -34°C, -35°C, je suis sorti en raquette, en ski de rando, en ski de fond ; je fais moins de kilomètres à pied mais je continue les efforts. C’est dans ces conditions extrêmes que garder la motivation s’avère très difficile. Je me retrouve très vite à me sentir très seul et à me dire « je suis à bout de forces, je m’arrête ». Je fais alors un gros travail préalable avec mon préparateur mental, c’est lui qui m’aide à me dépasser sur ce point-là.

Sébastien Chaigneau

Quand tu cours pour tes compétitions, c’est quoi comme type de challenge ?

Ça peut sembler paradoxal mais quand je prends le départ d’un ultra-trail, je suis vraiment face à moi-même ; les autres athlètes sont là, ils font la même chose et au même moment, mais je me retrouve face à moi-même et face au travail que j’ai fait en entraînement. Le résultat que j’obtiens au final, c’est le résultat que je mérite par rapport à ce que j’ai fait. Je concrétise en compétition le travail de préparation que j’ai pu faire en amont.

Je prends le départ d’un UTMB en me disant « voilà, j’ai déjà été capable de faire tel temps » et j’essaye ensuite de garder la même feuille de route, le même rythme, et je ne m’occupe plus que de moi. Ces deux dernières années sur l’UTMB, par exemple, je n’ai regardé mon chrono qu’à Courmayeur ou à Vallorcine, après 80 ou 120 kilomètres de course. J’ai pour habitude de ne courir que par rapport à moi-même, oublier le reste et rester concentré.

Mais tu vas quand même chercher un peu plus loin à chaque fois…

Bien sûr que je vais toujours chercher un petit peu plus loin, c’est le propre de tout athlète. Ensuite, je progresse, je travaille sur les faiblesses que je ressens pendant les courses. Il faut environ six ou sept mois pour que la préparation hivernale soit assimilée, ce sont donc des choses qui se mettent en place très lentement ; si on progresse trop vite, c’est souvent la tête qui lâche en premier.

C’est un sport qui se joue beaucoup au mental…

Oui la préparation physique est importante mais la préparation mentale l’est encore plus. Elle est souvent négligée d’ailleurs, parce que le mental pour beaucoup d’athlètes, ou ça leur fait peur ou c’est de l’abstrait, et à partir de là ils remettent la préparation mentale à plus tard. Les gens n’imaginent pas ce que ça apporte, être capable de se recentrer sur ce que l’on est train de faire et de se dire « je suis ici et maintenant ! ». Ne plus revenir sur ce que l’on vient de faire, ni se projeter en avant ; « ici et maintenant », c’est le gros principe qu’il faut garder en tête. Et pour les moments difficiles, il est important de se créer des images-refuges, ça peut être les enfants, les arrivées de course, ou d’autres moments forts de la vie !

C’est ce que tu travailles avec ton préparateur mental ?

Exactement, c’est lui qui m’aide à mettre en place ces images-refuges et à mettre en place des scénarios. Quelle posture adopter si je me retrouve dans telle ou telle situation à tel kilomètre de la course par exemple. On travaille ensemble sur ce qu’il faut que je pense, ce sur quoi je dois me recentrer, les techniques de concentration, mes objectifs, etc.

Sébastien Chaigneau

Comment arrives-tu à vivre de ta passion ?

Auparavant, je travaillais dans un magasin de montagne ; je me levais tous les matins à 5h, j’allais m’entrainer entre 6h et 8h, et à 9h j’étais au magasin – jusque 20h. En suivant ce rythme de préparation, j’ai terminé deuxième à l’UTMB 2009 et suis passé ensuite dans le team international de North Face. Je me suis soudainement retrouvé à visiter onze pays différents en moins de trois mois, j’ai donc dû prendre de la disponibilité par rapport à mon travail, et petit à petit je me suis rendu compte que ce n’était plus possible d’y retourner. Avec le temps, j’ai réussi à développer et à optimiser ma situation en créant une entreprise : j’ai maintenant un préparateur mental, un préparateur physique, un coach et un manager. Ma femme, elle, s’occupe de tout ce qui est image, et de nombreuses autres personnes interviennent également de manière plus ponctuelle.

C’est de cette manière-là que tu réussis aussi à diffuser ton sport ? à partager ta passion?

Exactement. Il n’y avait personne qui faisait de l’ultra-trail en professionnel ; on s’est retrouvé tout les deux avec Killian [Jornet] – lui avait tout de même un peu plus d’avance malgré son jeune âge. C’était donc intéressant parce que je me disais « on est tout seul, ça n’a jamais été fait, il faut essayer ! ». Et puis avec ma femme et sa société de production d’image, on s’est lancé là-dedans, on a essayé de mettre en place une structure, de se faire conseiller. Je n’ai pas vingt ans, j’ai donc une vision plus globale et plus long terme de mon activité et de mes investissements.

Parle-nous de tes prochains projets justement…

Ma prochaine course c’est l’UTMB à la fin août. Ensuite, mi-octobre, je pars en Afrique du Sud et je terminerai ma saison avec le North Face Endurance Challenge les 1er et 2 décembre à San Francisco. J’ai aussi commencé à plancher sur ma saison prochaine avec des courses très certainement au Japon ou aux Etats-Unis.

Et pour cette saison, comment te sens-tu?

Je ne me sens pas trop mal mais chaque course est complètement différente. Pour l’UTMB, j’aimerais être dans le même état d’esprit que l’année dernière, voire mieux même. Maintenant, il faut que tout un tas de paramètres se mettent en place au jour de la course. Le plus dur, c’est réellement de parvenir à la ligne de départ en forme et sans blessure ; c’est ça mon prochain objectif !

Raconte-nous ta plus belle sortie…

[Il réfléchit.] J’ai tellement de sorties toutes plus incroyables les unes que les autres ! J’en ai une l’hiver dernier par exemple, où je suis sorti de la maison, suis monté dans la neige, ai fait quelques centaines de mètres et suis soudain tombé nez à nez avec un écureuil. Rien d’extraordinaire jusque là. J’ai ensuite poursuivi sur 300 mètres et j’ai vu deux chevreuils passer. Même si je vois des animaux tous les jours, j’ai trouvé ça génial ! Et puis j’ai continué à monter jusqu’à un passage où il y avait des bouquetins et quelques chamois. Et encore un peu plus haut, au niveau d’un refuge, il y avait un loup ! « Qu’est ce qu’il va bien pouvoir m’arriver encore aujourd’hui ?! ». [Rires.] Même chose au Lybian Challenge 2008 : je me suis retrouvé à faire quasiment 30 heures de course tout seul dans un secteur où il y avait une grande étendue de sable sur des dizaines et des dizaines de kilomètres. J’ai aperçu une forme au loin, et en me rapprochant j’ai vu que c’était un touareg, fusil à l’épaule, qui me faisait signe. On a discuté un peu et au beau milieu du désert d’Akakus, il a allumé un feu et m’a offert du thé. C’était un de ces moments-là, inexplicables, magiques…

Et ta pire sortie ?

Paradoxalement, c’est une victoire, ma victoire au Grand Raid du Mercantour en 2009. Ce jour-la, trois coureurs sont morts à cause de l’orage. J’aurais vraiment préféré ne pas finir la course mais voilà, ça nous rappelle aussi qu’avec la montagne, on paye cash, la montagne reste la plus forte quoi qu’il arrive…

Pratiques-tu d’autres sports que le trail ?

Je grimpais beaucoup par le passé, mais maintenant je n’ai plus le temps malheureusement… Mais l’été je pars souvent en montagne avec des amis, on fait des courses d’arrêtes un petit peu plus alpines, pour le plaisir, sans chrono. Le seul chrono que j’emmène dans ces cas-là, c’est celui qui me dit quand aller chercher les enfants à l’école !

As-tu une région à nous recommander ? une région que tu affectionnes particulièrement ?

Je vous recommande le désert d’Akakus en Libye, un des plus beaux déserts du monde avec des peintures, des gravures, des poteries, des forêts d’arbres pétrifiés…

Et plus proche de nous, tout le secteur de Chamonix, des Aravis au Torrent de la Glière, c’est chez moi !

Et pour conclure, si tu pouvais avoir un super pouvoir…

Courir comme un bouquetin ! Ils arrivent à passer partout, à maîtriser… On a beaucoup de chose à apprendre des animaux.

Consultez la source sur ZeOutdoor: Un bouquetin en route pour le Mont Blanc Sébastien Chaigneau