On savait, depuis la publication du rapport de l‘actuaire en chef, que les cotisations à l‘assurance-emploi étaient trop élevées.
On en déduit que deux choix se présentent maintenant au gouvernement : les réduire ou bonifier un programme qui devient toujours plus pingre, année après année.
Le directeur parlementaire du budget (DPB), dans un rapport publié jeudi dernier, nous apprend qu’en maintenant les cotisations au niveau actuel pour encore deux ans, le gouvernement fait carrément perdre des emplois aux Canadiens.
Ce dossier est technique, mais touche beaucoup de monde. Je vous explique.
Les cotisations à l’assurance-emploi sont actuellement de 1,88 $ par tranche de 100 dollars de rémunération assurable. Cela veut dire jusqu’à concurrence de 48 600 dollars en 2014.
Le taux devait être établi de façon indépendante pour en arriver à un équilibre entre les dépenses et les revenus sur une période de sept ans. Le gouvernement Harper a mis sur pied un organisme indépendant à cet effet, mais il ne l’a jamais laissé jouer son rôle et l’a finalement démantelé pour conserver le pouvoir de fixer le taux en question.
Cela n’est ni innocent ni insignifiant, vous allez voir pourquoi.
Selon le DPB, le taux d’équilibre devrait être de 1,75 $ en 2015 et de 1,60 $ en 2016. Le gouvernement, lui, a décidé de le maintenir à 1,88 $ pour ces deux années et de l’abaisser à 1,47 $ les deux années suivantes. Cela veut dire que le taux dépassera le seuil d’équilibre de 13 cents en 2015 et 28 cents l’année suivante. Il sera toutefois sous le seuil les deux années suivantes.
Au cours des deux prochaines années, un groupe d’entreprises profitera cependant d’une baisse de taux. À la mi-septembre, le gouvernement a annoncé un crédit pour les petites entreprises, soit celles qui versent moins de 15 000 dollars en cotisations par année. La raison officielle de cette dépense de 550 millions sur deux ans est la création d’emplois.
Ce geste n’est pas désintéressé. Il calme une partie de la base conservatrice tout en permettant au gouvernement d’engranger, avec les cotisations excédentaires, un surplus cumulatif d’environ cinq milliards de dollars sur deux ans. Ajouté à l’excédent généré par les compressions budgétaires et les hausses de revenus, le gouvernement est assuré d’avoir un plantureux surplus à sa disposition pour préparer les prochaines élections.
Injuste
Exiger des cotisants à l’assurance-emploi qu’ils contribuent à hauteur de 5 milliards de dollars à l’élimination du déficit et à la production d’un excédent a quelque chose de foncièrement injuste.
Tous les salariés et leurs employeurs paient des cotisations, qu’ils soient riches ou non. En revanche, les professionnels et les travailleurs autonomes ne versent pas un sou.
Cela veut donc dire que le fardeau du rétablissement de l’équilibre budgétaire n’est pas partagé également entre tous ceux qui travaillent. Même entre salariés, il y a iniquité, car les gens qui font 48 600 dollars ou moins paient des cotisations sur l’ensemble de leur salaire, alors que ceux qui font davantage n’en paient que sur cette première tranche de leurs revenus.
Et les chômeurs ?
On peut dire que les chômeurs subissent aussi une injustice. Depuis 20 ans, le gouvernement fédéral n’a fait que resserrer l’accès au programme. Alors que 80 % de tous les chômeurs recevaient des prestations au milieu des années 1980, seulement 34 % d’entre eux en ont reçu en 2014.
Le gouvernement répond que 80 % des personnes admissibles en obtiennent, ce qui veut dire que de moins en moins de travailleurs se qualifient. Cela est attribuable à l’adoption de critères plus stricts et à la transformation du marché du travail.
Selon le DPB, si l’excédent de la caisse était utilisé pour bonifier le programme, 10 % de plus de chômeurs pourraient y avoir accès, soit 130 000 travailleurs. Sinon, on pourrait augmenter les prestations en faisant passer le taux de remplacement de la rémunération de 55 à 68 %.
Des emplois
Le gouvernement, lui, invoque la création d’emplois. Louable, non ? Oui. Mais est-ce le cas ?
Le DPB calcule que la réduction du taux pour les petites entreprises permettra de créer, en termes nets, seulement 200 emplois supplémentaires en 2015 et 800 en 2016, pour un total de 1 000. Cela veut dire que chacun de ces emplois coûtera 550 000 dollars au trésor public.
Quant au gel du taux à 1,88 $ pour deux ans, il entraînera la perte nette d’emplois : 2 000 équivalents temps plein en 2015 et 8 000 en 2016. Mais le gouvernement, lui, aura le surplus dont il rêve pour faire des cadeaux électoraux.
Plus fondamentale encore est l’évolution de tout le régime d’assurance-emploi, qui a été créé pour aider les travailleurs en chômage à traverser une période difficile. Malheureusement, aucune des réformes menées depuis 20 ans n’a cherché à le moderniser pour qu’il réponde aux besoins changeants du marché du travail.
Le nombre de salariés a diminué, le nombre de travailleurs autonomes a augmenté, et de plus en plus de personnes sont à statut précaire. Au lieu de s’adapter à cette nouvelle donne, les gouvernements libéraux et conservateurs ont plutôt réduit la portée du programme avec une seule obsession en tête : diminuer la facture pour générer des surplus.
Le Québec a démontré, avec le congé parental, qu’il est possible de s’ajuster à la nouvelle réalité du marché du travail pour prendre en compte celle des travailleurs autonomes.
Une vraie réforme n’est pas une chimère, mais il faut la vouloir et savoir preuve d’imagination.
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À propos de Manon Cornellier
Manon Cornellier est chroniqueuse politique au Devoir, où elle travaille depuis 1996. Journaliste parlementaire à Ottawa depuis 1985, elle a d’abord été pigiste pour, entre autres, La Presse, TVA, TFO et Québec Science, avant de joindre La Presse Canadienne en 1990. On peut la suivre sur Twitter : @mcornellier.
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