Le chef du NPD, Thomas Mulcair, a annoncé cette semaine qu’il souhaite créer un réseau pancanadien de garderies à prix abordable — sur le modèle du Québec — s’il est porté au pouvoir en 2015. (Photo : Sean Kilpatrick/La Presse Canadienne)
Dans un an, le Canada sera en campagne électorale. Et si cette semaine politique — où les chefs des partis semblent déjà en mode séduction, loin du Parlement — est le reflet de ce qui se prépare, la population aura le choix entre des visions très différentes.
Le NPD de Thomas Mulcair a frappé un grand coup, mardi matin, en dévoilant ce qui sera une promesse électorale importante du parti : la création d’un réseau de garderies abordables à travers le pays, sur le modèle du Québec. Des places à 15 dollars par jour.
Thomas Mulcair estime que la recette concoctée par Jean Charest en 2003 était habile et peut fonctionner à Ottawa pour le NPD.
À l’époque, Mulcair était député du PLQ à Québec et son chef avait décidé de rendre public des pans entiers de sa plateforme électorale avant le début de la campagne officielle. L’objectif était double : attirer l’attention (ce qui n’est jamais facile dans l’opposition) et montrer que le parti a des idées, qu’il est sérieux et qu’il est prêt à gouverner. En 2003, le PLQ était absent du pouvoir depuis près de 10 ans. À Ottawa, le NPD est absent depuis… tout le temps.
Pour bien des Canadiens, passer d’un gouvernement conservateur à un gouvernement néo-démocrate est un grand écart droite-gauche qui n’a rien d’évident. Si Mulcair veut avoir une chance de l’emporter, il n’est pas trop tôt pour lancer la grande séduction.
De plus, dévoiler une politique publique qui attire l’attention permet au leader du NPD d’accentuer le contraste avec le chef libéral Justin Trudeau, qui demeure très populaire, mais qui n’a pas encore mis d’idée forte sur la table.
Politiquement, l’annonce néo-démocrate n’était pas vraiment destinée aux Québécois, qui ont déjà un réseau de garderies à 7,31 dollars par jour. N’empêche, à Québec, le gouvernement Couillard en a pris bonne note.
Dans quelques années, une fois le programme entièrement en place, la promesse du NPD signifierait une dépense de 5 milliards de dollars par année de la part d’Ottawa (et la création d’un million de places à 15 dollars). Pour le Québec, qui serait compensé financièrement parce qu’il a déjà un tel programme, le transfert se chiffrerait en centaines de millions de dollars par année. Une manne qui pourrait contribuer à garder les tarifs à un bas niveau, même avec une économie au ralenti.
Dans le reste du pays, l’annonce a eu plus de résonance, d’autant que les gouvernements de l’Ontario et du Manitoba ont accueilli favorablement l’idée. Étant donné que ce type de programme à l’enfance est de juridiction provinciale, un gouvernement du NPD devrait s’entendre avec chacune des provinces sur un système de garderie — 40 % du financement viendrait des provinces.
Est-ce qu’une place à 15 dollars est réaliste ? Est-ce qu’un million de places au bout de huit ans est suffisant et possible, lorsqu’on sait qu’uniquement au Québec, la maturité du réseau, avec 250 000 places, n’est pas encore atteinte ? Il reste des questions.
Mais 15 dollars par jour par enfant, soit 300 dollars par mois, a de quoi faire rêver bien des familles hors Québec. En Ontario, la moyenne est de 1 152 dollars. Par enfant. Par mois. C’est une moyenne.
Un ami qui a habité Toronto payait 1 600 dollars par mois pour son fils. En Colombie-Britannique, c’est 1 047 dollars en moyenne par enfant. En Nouvelle-Écosse : 825 dollars. Selon un rapport de l’OCDE, en 2011, le budget de garderie grugeait 18,4 % du revenu des familles au Canada.
Le NPD a donné un «twist» économique à son annonce. L’économie formera les contours du champ de bataille de la prochaine campagne. Thomas Mulcair a cité une étude des économistes Pierre Fortin et Luc Godbout, qui affirment que le programme québécois de garderies n’est pas qu’une mesure sociale, puisqu’il a attiré 70 000 femmes de plus sur le marché du travail, avec des retombées fiscales importantes dans les coffres de l’État. Il en serait de même pour Ottawa et les autres provinces, soutient Mulcair. Pour le fédéral, l’estimation des revenus supplémentaires atteint trois milliards de dollars par année.
C’est là que le contraste avec la politique à venir des conservateurs est le plus frappant.
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En 2011, Stephen Harper a promis d’instaurer le fractionnement des revenus pour les couples avec enfants de moins de 18 ans lorsque l’équilibre budgétaire serait atteint. Il le sera cette année.
L’ancien ministre des Finances, Jim Flaherty, était contre cette idée et avait osé l’exprimer quelques semaines avant son départ de la politique, le printemps dernier. Stephen Harper l’avait publiquement rabroué. Dans les coulisses du gouvernement, on affirme que cette promesse est bien vivante et pourrait voir le jour lors du prochain budget fédéral de mars 2015.
Le fractionnement du revenu est une opération fiscale qui se produit au moment du rapport d’impôt annuel. Il consiste à transférer des revenus d’un contribuable dont le taux d’imposition est élevé (parce qu’il fait passablement d’argent) à un autre dont le taux est moins élevé parce qu’il a des revenus inférieurs, ce qui permet d’économiser de l’impôt.
Les personnes retraitées profitent depuis quelques années d’une telle opération.
Mais l’étendre aux couples avec enfant a plusieurs conséquences.
D’abord sur les finances publiques. C’est une mesure qui coûte entre 2,7 et 3,3 milliards de dollars par année. (Si les provinces emboitent le pas, c’est une facture de 1,9 milliard par année, dont près de 400 millions pour le Québec).
Ensuite, le fractionnement profite aux couples à forte disparité de revenus. Et plus encore aux couples dont l’un des deux parents reste à la maison.
Le fractionnement du revenu deviendrait l’un des plus puissants incitatifs monétaires à garder un parent à la maison pour s’occuper des enfants. Ne soyons pas naïfs, c’est souvent la femme.
Une mesure comme les garderies à rabais fait exactement le contraire et incite les parents, et donc les femmes, à revenir sur le marché du travail plus rapidement. Le contraste entre les deux politiques publiques est net.
J’ajoute également que le fractionnement du revenu est une mesure qui profiterait beaucoup… à un petit nombre de Canadiens. Selon une étude de l’Institut CD Howe en 2011, 40 % des bénéfices iraient aux familles ayant des revenus supérieurs à 125 000 dollars.
Près de 85 % des ménages canadiens ne verraient aucun gain significatif.
Évidemment, une telle mesure ne procure aucun avantage à une personne monoparentale qui ne peut fractionner son revenu.
Les auteurs de l’étude notent que cette proposition «imposerait une barrière aux épouses qui veulent retourner au travail. Cela rendrait les femmes mariées plus vulnérables en réduisant leur expérience de travail».
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Du côté libéral, le chef Justin Trudeau parle beaucoup de la classe moyenne. À quel point elle en arrache, en plus d’être endettée et inquiète pour sa retraite. Rien de précis pour la soulager n’a encore été avancé, mais la plateforme électorale contiendra des mesures en ce sens, dit-on. Il a l’intention de garder ses munitions pour plus tard.
L’éducation et les infrastructures, notamment en transport en commun, seront au coeur des engagements.
Justin Trudeau affirme qu’il est illusoire de penser qu’on peut affronter les défis économiques et sociaux du pays par des baisses d’impôt, la voie privilégiée par les conservateurs de Stephen Harper. Trudeau promet des investissements importants. Il accuse Harper d’«atrophier» l’État.
Visiblement, le retour à l’ère des surplus budgétaires à Ottawa annonce des débats sur leur utilisation. Nouveaux programmes ? Investissements ? Baisses d’impôt ? Réduction de la dette ? Le contraste entre les partis s’annonce important.
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À propos d’Alec Castonguay
Alec Castonguay est chef du bureau politique au magazine L’actualité, en plus de suivre le secteur de la défense. Il est chroniqueur politique tous les midis à l’émission Dutrizac l’après-midi (sur les ondes du 98,5 FM) et analyste politique à l’émission Les coulisses du pouvoir (à ICI Radio-Canada Télé). On peut le suivre sur Twitter : @Alec_Castonguay.
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