
Un militant du Parti québécois le soir des dernières élections, le 7 avril 2014. – Photo: Ryan Remiorz/La Presse Canadienne
Commençons par un constat : l’état précaire du Parti québécois devrait pousser les candidats à la chefferie et les militants à une certaine audace. Le soir du 7 avril dernier, les Québécois ont envoyé le signal que le statu quo est impossible à maintenir.
Avec l’audace vient le choc.
Celui des idées. Celui des individus. De nouvelles fractures apparaissent. De vieilles blessures remontent à la surface.
Tous n’ont pas le même chemin pour se rendre à destination.
Prenons l’épisode le plus récent, la lettre de Jean-Martin Aussant, publié mercredi matin dans Le Devoir.
Il y a de l’audace. D’abord dans la forme. Ça prend un certain culot pour écrire, de Londres, sur l’allure que devrait prendre la course au PQ, alors que le titre — «Si j’étais militant péquiste» — montre d’entrée de jeu qu’il n’est pas de retour dans le giron du parti qu’il a quitté avec fracas en juin 2011, afin de fonder un parti politique concurrent. La lettre est d’ailleurs un appel à reprendre certains volets du programme de son ancienne formation, Option nationale.
L’homme aime déranger, brasser la cabane. Une qualité. Et il a un humour grinçant. Lorsque la rumeur d’un PKP faisant de l’œil à Jean-Martin Aussant a été rendue publique, fin août — le magnat des médias aurait tenté de le convaincre de joindre son équipe au leadership —, Aussant y a été d’un petit mot lapidaire sur Twitter, où il a fait allusion à la série télé House of Cards et à son personnage ratoureux, presque machiavélique.
Voyez ici :
Sur le fond aussi, Jean-Martin Aussant y va de suggestions audacieuses : gratuité scolaire, mode de scrutin proportionnel, mise au rancart des ténors du PQ qui ont été à la tête du parti ces dernières années… et tenir un référendum rapidement, malgré l’ambiance politique actuelle (il a toujours été identifié aux pressés).
Cette question du référendum — de son moment et de la mécanique — est la première ligne de fracture de cette course au leadership qui n’est pas encore déclarée. Elle pourrait bien définir les clans jusqu’à la fin.
Bernard Drainville propose de préparer le grand soir activement, en utilisant des fonds publics s’il prend le pouvoir. Mais il promet de ne pas tenir de référendum dans un premier mandat péquiste, ce qui reporte, au mieux, un éventuel référendum à 2023. Voyez sa position ici.
Jean-François Lisée suggère de lancer un vaste exercice pédagogique sur l’indépendance, et de se pencher sur la place que prendra la souveraineté et le référendum un an avant les élections. Son idée est ici.
Leur constat est basé sur les résultats des dernières élections, des sondages qui montrent un appui vacillant à la souveraineté et la volonté d’éviter le maintien facile au pouvoir du Parti libéral (et à enrayer une montée possible de la CAQ, qui pourrait s’imposer comme l’alternance au PLQ dans quatre ans). Au PQ, écarter un référendum à court et moyen terme, en sachant que cela va déplaire à beaucoup de militants, c’est aussi une forme d’audace.
Martine Ouellet estime au contraire que ses deux collègues sont trop pessimistes, «un peu découragés», dit-elle, et qu’il ne faut rien écarter. Voyez ici.
D’autres vont se prononcer sur le sujet.
Bref, l’axe «souverainistes pressés-souverainistes patients» commence à être visible.
C’est probablement incontournable, mais il serait dommage que ce soit le coeur de la course. Le PQ n’est pas qu’une mécanique référendaire.
C’est d’ailleurs l’opinion qu’ont livrée à L’actualité les quatre plus jeunes ministres du gouvernement Marois, qui songent tous à se lancer dans la course.
Dans le numéro de L’actualité que les abonnés commencent à recevoir ces jours-ci et qui sera en kiosque (et iPad) ce vendredi, Véronique Hivon, Pascal Bérubé, Alexandre Cloutier et Sylvain Gaudreault s’expriment franchement, sans détour, sur la défaite du 7 avril, l’avenir de leur parti et du mouvement souverainiste.
Les quatre députés formulent tous la même mise en garde : ne pas faire uniquement un débat sur «qui est le plus pressé» de faire la souveraineté, au risque de marginaliser le PQ davantage, disent-ils.
Voici un extrait du texte à paraître :
«Le Parti québécois a parfois l’air d’être dans sa bulle, occupé par ses débats internes sur la souveraineté, désincarné des préoccupations des gens», affirme Véronique Hivon, qui représente la circonscription de Joliette depuis 2008. «Les grandes crises doivent provoquer de grandes choses.»
Dans la bouche des quatre jeunes ministres de l’ancien gouvernement Marois, les mots « réforme », « changement » et « refonder le parti » reviennent souvent. On sent cette volonté de secouer la baraque, de contribuer au débat sans retenue, peu importe s’ils décident ou non de plonger dans l’aventure de la course à la direction du parti aux côtés des noms les plus souvent évoqués, comme Pierre Karl Péladeau, Bernard Drainville et Jean-François Lisée.
L’heure est au choc des idées. «C’est la seule manière de faire naître le PQ nouveau. Il ne faut pas seulement changer la coquille, il faut s’attaquer au contenu aussi», soutient Alexandre Cloutier, 37 ans, député de Lac-Saint-Jean depuis 2007.
Son collègue Pascal Bérubé, 39 ans, se dit carrément inquiet. «La dernière chance du PQ, ce sont les quatre années à venir. Il y a un risque réel que le Parti libéral du Québec devienne indélogeable», affirme-t-il. [...]
Les quatre députés estiment que leur parti était obsédé par l’idée de gagner les élections, peu importe la stratégie. Sylvain Gaudreault, le superministre du gouvernement Marois — il avait les casquettes des Affaires municipales, des Régions, de l’Occupation du territoire et des Transports —, est le voisin de circonscription d’Alexandre Cloutier, dans Jonquière. Les deux élus ont reçu les mêmes commentaires dans cette région considérée comme un bastion péquiste. «On se fait dire qu’on n’est plus proches des travailleurs, dit Sylvain Gaudreault, 44 ans. Et ils ont raison. Je ne parle pas des syndicats, mais du vrai monde qui tire le diable par la queue du matin au soir entre la famille et le boulot. Le monde du travail change, il n’y a pas que les usines.»
Les quatre députés souhaitent parler de langue — Pascal Bérubé dit que le PQ doit se sortir d’une mentalité d’assiégé — d’environnement, d’intégration des immigrants, de transparence, de participation des militants, de justice sociale, etc.
Bref, élargir le débat. Laisser entrer de l’oxygène.
C’est dans ce contexte que l’idée d’intégrer des sympathisants — des non-membres du PQ qui pourraient également choisir le prochain chef — est née. Alexandre Cloutier et Jean-François Lisée y sont favorables, notamment.
Le Parti socialiste français et le Parti libéral du Canada ont choisi leur chef respectif avec cette méthode. Ce n’est pas une panacée. L’expérience montre que la plupart des sympathisants ne deviennent pas membres du parti à la suite de la course. Et leur présence n’est pas la garantie d’un bon résultat (réf. : François Hollande).
Mais ouvrir la porte aux sympathisants comporte aussi des avantages. Il offre une chance à ceux qui ont un moins bon réseau d’organisateurs au sein du parti. Ce n’est plus seulement une bataille de machine et d’organisateurs. Dans ce type de course, les candidats tentent d’attirer l’attention des nouveaux sympathisants, ce qui a tendance à augmenter la palette des sujets à l’ordre du jour. On ne prêche plus seulement à des convaincus. La dynamique est différente.
La balle est maintenant dans le camp de la Conférence nationale des présidentes et présidents du PQ (CNPP). Les 175 personnes qui composent l’instance — présidents régionaux, exécutif national, exécutif des jeunes, etc. — se réunissent à Sherbrooke le 4 octobre prochain pour en parler. Ils devront décider si un congrès spécial se tiendra d’ici la fin de l’année afin de changer les statuts du parti pour permettre le vote des sympathisants, actuellement interdits.
La CNPP doit s’entendre au deux tiers pour aller de l’avant. Or, le vote sera serré, puisqu’ils ne s’entendent pas.
L’argument qui revient le plus souvent concerne les coûts d’un congrès qui rassemblerait près de 2 000 personnes. En coulisses, un document circule faisant état d’une facture possible de 400 000 dollars. (J’ai tenté de faire ventiler cette somme pour comprendre le montant, sans succès.)
Or, une facture de cette ampleur ressemble davantage à une excuse qu’à une raison valable.
Les organisateurs de congrès politique à qui j’ai parlé estiment que la somme de 400 000 dollars est «nettement exagérée». «À ce prix, tu fais un méchant show de boucane !», m’a dit l’un deux.
Un congrès spécial, avec un seul sujet à l’ordre du jour — changer les statuts du parti — n’a pas besoin d’être un congrès de deux jours, tout feu tout flamme, toutes dépenses payées aux militants (transport, repas, hébergement, etc.).
Vrai qu’ils sont habitués aux partys politiques — une belle occasion de débattre, de se revoir et de s’amuser pendant une fin de semaine —, mais les militants comprendraient que le parti est en reconstruction et que cette fois, le contexte est différent. Aux grands maux, les grands moyens.
Un congrès d’une demi-journée, avec 1 000 ou 2 000 personnes, location de salle et système de son inclus, dans un hôtel de Montréal ou Québec, coûteraient moins de 100 000 dollars, m’a-t-on dit. Une facture qui peut encore descendre sous les 75 000 dollars si le congrès se tient à Trois-Rivières ou Drummondville. Le PQ est encore capable de se payer ce type de dépenses.
La CNPP peut très bien écarter l’idée de tenir un congrès spécial afin de permettre aux sympathisants de voter pour le futur chef sur la base qu’il y a trop de désavantages ou que le PQ ne souhaite pas, philosophiquement, aller dans cette direction.
Mais l’argument monétaire me semble secondaire dans ce débat.
C’est la première occasion offerte aux dirigeants du PQ d’envoyer un signal qu’ils sont sérieux dans leurs remises en question.
L’audace, c’est aussi ça. Être créatif, explorer toutes les pistes, oser sortir du moule, et ne pas utiliser l’argent comme prétexte.
* * *
À propos d’Alec Castonguay
Alec Castonguay est chef du bureau politique au magazine L’actualité, en plus de suivre le secteur de la défense. Il est chroniqueur politique tous les midis à l’émission Dutrizac l’après-midi (sur les ondes du 98,5 FM) et analyste politique à l’émission Les coulisses du pouvoir (à ICI Radio-Canada Télé). On peut le suivre sur Twitter : @Alec_Castonguay.
Cet article Course au PQ : audace et fractures est apparu en premier sur L'actualité.
Consultez la source sur Lactualite.com: Course au PQ audace et fractures