Je comptais démarrer mon suivi de la campagne électorale par une revue des quelques candidats santé, mais voilà que les programmes des partis commencent à débouler. D’abord, celui du PLQ, avec plusieurs propositions touchant surtout la première ligne de soins. Alors commençons par là.
L’accès aux médecins de famille et à la première ligne est une priorité bien identifiée par tout le monde, autant par la population que par les experts. C’est d’ailleurs ce que montrait encore le sondage qu’a rendu public Radio-Canada mardi matin.

Source de l’image : http://ici.radio-canada.ca/sujet/elections-quebec-2014/2014/03/11/001-sondage-elections-systeme-sante.shtml
Les deux mots sont ici fort importants : «accès» et «médecin». Parce que c’est beau avoir un médecin de famille, mais si on ne peut le voir quand on en a besoin, on n’est pas très avancé.
J’ai parlé à plusieurs reprises de la nécessité d’améliorer cet accès, qui suppose de revoir à la fois le rôle des médecins de famille dans le réseau, l’organisation de la pratique médicale et le travail d’équipe effectué avec d’autres professionnels. Mais pas nécessairement de rehausser le nombre de médecins. Parce que nous sommes loin d’être dépourvus quant au nombre absolu de médecins de famille au Québec, si on se compare au Canada anglais.
Pour améliorer la première ligne, le PLQ propose d’abord de disposer d’ici 10 ans de 2 000 infirmières-praticiennes spécialisées. La principale promesse en 2012 du Dr Gaétan Barrette, offrir un médecin de famille pour tous les Québécois d’ici un an, ne semble pas avoir été reprise par le PLQ. On mise plutôt sur les infirmières-praticiennes, selon le modèle ontarien, où près de 1 000 de ces infirmières œuvrent actuellement en première ligne.
On ne peut que saluer l’initiative, encore qu’il faudra prévoir l’articulation de cette mesure avec la protection du caractère public de la prestation de soins.
Actuellement, de plus en plus d’infirmières œuvrent en première ligne, mais dans certains cas, des frais sont demandés aux patients pour recevoir ces soins. Un travail d’intégration dans la couverture publique devra donc être fait.
Pour la première ligne, le PLQ propose ensuite d’assurer l’ensemble de l’imagerie hors hôpital — on parle ici d’une couverture publique des échographies, des scans et de la résonance magnétique, actuellement non couverte hors hôpital (contrairement à ce qui se passe en Ontario, par exemple). Et enfin, de créer 50 cliniques ouvertes 7 jours sur 7, qui offrent des heures d’ouverture élargies et des services spécialisés.
Couvrir publiquement l’imagerie médicale
La couverture publique de l’imagerie hors hôpital est une annonce fort bienvenue. Plusieurs groupes, dont Médecins québécois pour le régime public (MQRP) — que je préside — en avaient d’ailleurs demandé la couverture l’an dernier.
L’idée de couvrir toute l’imagerie médicale avait aussi été formulée par le docteur Gaétan Barrette, alors qu’il présidait la Fédération des médecins spécialistes — une position alors rejetée par l’Association des radiologistes du Québec, qui suggérait plutôt d’investir cet argent dans l’offre d’imagerie publique, donc à l’hôpital.
Un débat aussi présent au sein de divers groupes sociaux, puisque certains perçoivent la couverture publique de l’imagerie hors hôpital comme une subvention au privé.
Le ministre Réjean Hébert avait alors bien reçu la demande et promis d’agir rapidement pour couvrir publiquement toute l’échographie. Mais après s’être engagé fermement (sur la base d’entente dont la négociation avait d’ailleurs commencé en 2011 sous la gouverne du docteur Yves Bolduc), il a plutôt choisi de reculer et de financer l’augmentation de l’offre en échographie à l’hôpital.
Selon ses dires, les listes d’attente en échographie seraient ainsi abolies dès… juin 2014, un pronostic optimiste, au vu des sommes investies.
Les chiffres avancés par le PLQ mentionnent 50 millions de dollars sur trois ans pour assurer la couverture. Il faut croire que des économies seront faites ailleurs, puisque simplement pour couvrir l’échographie, on parlait en 2013 d’une dépense annuelle (justifiable) d’environ 30 millions par année, et de 100 millions par année pour l’ensemble de l’imagerie.
Il sera donc intéressant de voir comment le chiffre de 50 millions, somme toute modeste en regard du budget de la santé, est calculé.
Des supercliniques nouveau genre ?
On en arrive au concept de ces cliniques qui semblent s’apparenter à ceux, existants, de Groupe de médecine familiale (GMF) avec omnipraticiens et spécialistes — ou de cliniques réseaux (comme on en retrouve plusieurs à Montréal, mais disposant de services spécialisés), ou encore de Clinique médicale spécialisée de type Rockland MD, avec des fonctions importantes de première ligne. Voici comment le PLQ décrit son modèle :
«Les super-cliniques regrouperont sous un même toit une équipe multidisciplinaire formée d’omnipraticiens, de médecins spécialistes, d’infirmières et d’autres professionnels de la santé. Ils auront des heures d’ouverture plus étendues afin d’offrir davantage de services les soirs et les fins de semaine et offriront des services avec et sans rendez-vous. Le service sans rendez-vous sera géré à l’aide d’un système informatique particulier qui assurera une attente de moins de deux heures sur place. Des services de radiologie et des tests en laboratoire seront également offerts sur les lieux. De plus, les super-cliniques permettront aux familles de consulter des médecins spécialistes directement dans la clinique. Ainsi, un enfant ayant besoin de consulter par exemple un pédiatre ou un dermatologue, y aura accès beaucoup plus rapidement, et sans qu’il faille pour cela multiplier les appels pour trouver un spécialiste.»
Sans nier l’importance d’améliorer l’offre en première ligne, avons-nous vraiment besoin d’un nouveau concept de dispensation des soins ? Et est-ce vraiment le meilleur modèle ? On pourra, dans un prochain billet, l’opposer à la proposition de Québec solidaire, qui vient tout juste d’arriver sur le Web : mieux utiliser les CLSC, déjà disponibles, pour accroître l’offre de première ligne.
Mais revenons au modèle proposé par le PLQ. On mise ici non pas sur la prestation publique offerte en établissements, mais vraisemblablement sur la prestation privée à large échelle, financée publiquement. Ce qui n’est pas très surprenant : le docteur Philippe Couillard a souvent mentionné son appui à la prestation privée, bien concrètement en donnant comme ministre son aval à la création des Centres médicaux spécialisés (CMS), puis en ouvrant la porte à la négociation de volumes de chirurgies entre un hôpital et la clinique Rockland MD.
On sait que l’expérience a permis de diminuer les listes d’attente de Sacré-Cœur, mais les économies attendues ne se sont pas matérialisées, chaque chirurgie coûtant davantage au privé qu’au public (probablement quelques centaines de dollars) — un fait que le docteur Barrette reconnaissait comme président de la FMSQ. D’ailleurs, d’autres expériences canadiennes ont montré la même chose.
Le modèle proposé est donc en accord avec une prestation à large échelle dans des cliniques privées contrôlées soit seulement par des médecins, soit en partie par des groupes d’investisseurs, ce qui peut devenir une occasion d’affaires majeure.
Or, on peut craindre l’expansion d’un tel modèle, et ce, pour plusieurs raisons.
La première, c’est que les économies alléguées par la mise en place de telles structures privées ne seront sans doute pas au rendez-vous, comme l’a montré le modèle Rockland MD.
Ensuite, la notion de profit peut pousser, comme cela a été montré ailleurs, à réaliser des tests et des interventions superflus, qui ne contribuent pas tellement à améliorer la santé des patients.
Par ailleurs, rien ne dit qu’une meilleure utilisation des structures actuelles (CLSC, cliniques externes, plateaux techniques hospitaliers, etc.) ne permettrait d’augmenter la couverture en utilisant des infrastructures déjà existantes.
D’autre part, alors que le Québec possède déjà une capacité d’imagerie supérieure à celle des autres provinces (machines et ressources humaines), on se demande pourquoi on devrait équiper de nouvelles cliniques d’appareils d’imagerie supplémentaires.
Enfin, la mise en place d’une telle capacité médicale en dehors du réseau des établissements peut faire craindre qu’à moyen et long terme, malgré toutes les précautions qu’on pourrait bien prendre aujourd’hui pour éviter cela, un gouvernement décide de proposer de financer les soins au sein de ces infrastructures par l’assurance privée, ce qui conduirait de facto à la mise en place d’un système privé parallèle.
Crainte d’expansion du privé
Est-ce que j’agite là des épouvantails ? Pas du tout.
Rappelons que la CAQ avait dans son programme en 2012 un projet-pilote de médecine mixte et que le docteur Couillard a passé la loi qui permet, aujourd’hui, de prendre une assurance privée pour certaines chirurgies (hanche, genou, cataracte) — une possibilité plutôt théorique, mais qui pourrait s’étendre à une cinquantaine d’autres chirurgies par simple modification des règlements. Donc sans modifier la loi, par décision d’un futur conseil des ministres qui le souhaiterait.
On aura beau recevoir toutes les assurances contraires, elles ne pourraient être garantes de l’avenir à ce niveau.
On peut qualifier de louable celle portant sur les infirmières praticiennes — à condition qu’on s’assure de bien arrimer la couverture publique avec ces pratiques en émergence. Et il est difficile d’être contre l’idée d’améliorer l’équité en offrant une couverture d’imagerie complète.
Par contre, l’idée de ces mégacliniques devrait nous porter à réfléchir sur leur nécessité et leurs effets à long terme. D’autant plus que si on met ces trois propositions bout à bout, il s’agit vraiment d’une expansion majeure de la capacité de soigner hors de l’hôpital, qui peut avoir ses bons côtés, mais qui peut aussi être éventuellement utilisée séparément du réseau public. Alors prudence.
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À propos d’Alain Vadeboncœur
Le docteur Alain Vadeboncoeur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, il enseigne l’administration de la santé et participe régulièrement à des recherches sur le système de santé. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter : @Vadeboncoeur_Al.
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