Dans les temps anciens, il suffisait d’une télécommande pour regarder la télévision. Aujourd’hui, un téléspectateur sur deux, ou presque, conserve aussi sa tablette (ou son téléphone) à ses côtés. En clair : beaucoup d’entre nous jouent avec deux écrans en même temps.
Joli casse-tête pour une industrie qui sait que les jeunes s’avachissent de moins en moins souvent devant la télé du salon. Comment faire des émissions, et plus particulièrement des documentaires, qui sachent retenir le public devant le petit écran et, en même temps, devant le tout petit écran ?
C’est l’enjeu d’une production franco-canadienne « transmédia » qui, bien qu’elle aborde un sujet historique, joue la carte des nouvelles technologies.
Apocalypse : La 1ère Guerre mondiale aurait pu se cantonner aux habituels produits dérivés comme les DVD. Ses producteurs ont plutôt décidé de multiplier les supports : au site Web du documentaire s’ajouteront, par exemple, un jeu vidéo (sur la bataille de Vimy), une bande dessinée et une application pour tablettes et téléphones intelligents. Pendant la diffusion de la série, prévue pour mai 2014 au Québec, certaines télés — c’est notamment le cas de TV5 Québec Canada — auront un espace de type second écran à même leur site, ce qui leur permettra d’apporter des compléments d’information en temps réel.
Quoique fondée sur la réalité, cette série de cinq documentaires servira aussi de toile de fond à un roman jeunesse, 10 destins, qui racontera les aventures de 10 personnages de fiction. Ceux-ci — une infirmière originaire de Québec, un journaliste américain et un soldat africain, notamment — utiliseront Facebook, Twitter et d’autres réseaux sociaux pour tenir leurs « amis » et « abonnés » au courant de leurs péripéties, pendant quatre ans (de 2014 à 2018) en principe.
Cette aventure est le fruit d’une collaboration entre deux entreprises, l’une française, l’autre québécoise.
Côté français, les producteurs Clarke Costelle & Co ont atteint une renommée internationale grâce à deux documentaires précédents, Apocalypse : La 2ème Guerre mondiale et Apocalypse : Hitler. Leurs images d’archives inédites, colorisées numériquement, ont été vues par plus de 100 millions de téléspectateurs à partir de 2009. Notamment, au Québec, ceux de TV5.
Côté québécois, on retrouve la productrice Josette Normandeau, présidente d’Idéacom international, dont le catalogue comporte des centaines de documentaires — et 22 prix Gémeaux. Josette Normandeau décrit son entreprise comme « une start-up permanente ». « On est en train de vivre tous les chambardements de l’audiovisuel, dit-elle. Il faut se questionner sur tout, tout le temps. On est en terrain inconnu. »
Elle sait bien que l’adaptation aux nouvelles technologies est le nerf de la guerre. « Si on n’est pas capable d’apprivoiser tous les nouveaux supports, explique la quinquagénaire, on ne travaillera plus très longtemps encore. »

Josette Normandeau, présidente d’Idéacom, qui coproduit Apocalypse. «Si on n’est pas capable d’apprivoiser les nouveaux supports, on ne travaillera plus très longtemps encore.» – Photo : Julia Marois
Mais son métier, sur le fond, reste inchangé : en tant que productrice, elle doit d’abord chercher du financement. D’autant plus que le budget des cinq épisodes d’Apocalypse : La 1ère Guerre mondiale tourne autour de huit millions de dollars, une somme non négligeable qui correspond au budget d’un long métrage comme Bon Cop, Bad Cop, d’Éric Canuel, sorti au Québec en 2006.
C’est d’ailleurs l’importance des coûts qui a poussé Clarke Costelle & Co à s’associer à Idéacom international. « On aurait pu se tourner vers l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les États-Unis, mais on a préféré le Canada, explique le producteur français Louis Vaudeville. Cela répond à une logique financière et éditoriale. »
Josette Normandeau et ses partenaires français se sont partagé le travail. Il leur fallait convaincre le National Geographic Channel et des fonds privés d’aide à la création numérique au Canada, comme les Fonds Bell et Québecor. Il ne fallait pas négliger non plus l’État fédéral. Pour inciter les producteurs à décliner leurs émissions sur de nouvelles plateformes, le Fonds des médias du Canada subventionne des projets réunissant différents médias.
De l’autre côté de l’Atlantique, il fallait se rappeler au bon souvenir de France Télévisions, qui a diffusé en France les précédentes séries d’Apocalypse.
Comme ces dernières, le documentaire consacré à la Première Guerre mondiale est uniquement composé d’images d’archives. Dépêchées aux quatre coins du monde, des équipes de recherchistes ont déniché, dans des fonds d’archives privées et publiques, 500 heures d’images inédites.
Il fallait ensuite négocier les droits de diffusion, restaurer la pellicule et la coloriser numériquement. Plus facile à dire qu’à faire. Car on devait trouver les teintes exactes des drapeaux et uniformes, des tenues d’apparat des princes et rois, etc. Pas étonnant qu’on ait eu besoin d’une batterie de spécialistes.
Josette Normandeau, passionnée d’arts martiaux, notamment de karaté, a par moments dû taper du poing sur la table. « La colonie ici présente n’est pas du tout d’accord ! » a-t-elle parfois protesté. Ses partenaires français ne s’en sont pas formalisés. Le producteur Louis Vaudeville retient surtout que « travailler en français avec des Québécois facilite les choses ».
Les Québécois sont bien placés pour comprendre si le traitement d’un sujet est trop français, surtout lorsqu’il est question de la Première Guerre mondiale, un conflit parfois réduit, en France, à sa seule dimension franco-allemande.
Josette Normandeau explique : « Quand le texte du commentaire dit, par exemple, que “la France veut reconquérir l’Alsace”, il faut préciser où se trouve l’Alsace. Pour le reste du monde, ce n’est pas évident. » On ne devait jamais perdre de vue que cette Apocalypse sera diffusée dans 165 pays par l’intermédiaire du National Geographic Channel (et traduite dans une soixantaine de langues). Le public chinois ne sait pas forcément que l’Alsace, région de l’est de la France, a été occupée par l’Allemagne de 1870 à 1918…

Scène du projet transmédia 10 destins, qui raconte les aventures de 10 personnages de fiction. Ceux-ci utiliseront les médias sociaux pour tenir leurs «amis» au courant de leurs péripéties.
À Montréal, la présidente d’Idéacom récolte les louanges. « Josette Normandeau a beaucoup fait pour le rayonnement du savoir-faire d’ici et de son entreprise », souligne Suzanne Gouin, PDG de TV5. « Josette Normandeau a produit des documentaires au Québec — ce qui est déjà très difficile — avant de conquérir des marchés étrangers, explique Francine Allaire, ex-productrice de cinéma et directrice des émissions culture, variétés et société à Radio-Canada. C’est l’une des rares à l’avoir réussi. La beauté de la chose, c’est qu’elle est parvenue à s’arrimer à des projets de prestige et de grande envergure. »
Cette dernière Apocalypse, comme les précédentes, sera diffusée par TV5, avec qui Josette Normandeau entretient des relations privilégiées. « Je suis sûre que Radio-Canada aurait pu mettre plus d’argent que TV5, dit-elle. Mais par loyauté pour TV5, qui avait mis le paquet pour la diffusion d’Apocalypse : La 2ème Guerre mondiale, j’ai préféré TV5. Je cherche à établir des rapports à long terme. C’est une question d’éthique. Je ne vends pas des voitures usagées. »
Non, elle vend du transmédia, et cela ne date pas d’hier. Dès 1995, elle a créé un site Web accompagnant la série télé Univers inc., sur les affaires internationales : l’équivalent de 20 000 pages ! « En anglais et en français, pour Mac et PC », précise-t-elle, pas peu fière. On le serait à moins : seulement 100 000 Québécois étaient « branchés » à l’époque.
Et ça continue… Pour voir plus clair dans des productions de plus en plus complexes, Idéacom international est en train de développer un logiciel. Mais le plus grand défi est moins technologique que juridique. Les productions franco-canadiennes sont encadrées par un « minitraité » entre les deux pays. Aucune entente n’existe toutefois pour les productions numériques. Quelle réglementation privilégier dès lors pour les droits d’auteur ? L’européenne ? La canadienne ? Idéacom doit donc aussi élaborer les premiers contrats de coproduction numérique.
Au final, Josette Normandeau pense que le jeu en vaut la chandelle : cette dernière Apocalypse, elle la décrit comme une « œuvre qui va rester pour la planète ».
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