La décision de la première ministre de ne pas déclencher d’élections générales cet automne ne m’a pas étonné outre mesure, même si pour ma part je lui aurais conseillé d’y aller. J’en expliquais ici les raisons. C’était il y a 30 jours et depuis, ma conviction n’a fait que se renforcer.
La première ministre en a décidé autrement. Elle a affirmé que le gouvernement avait encore beaucoup de travail, ce qui est une bonne raison, bien sûr. Mais ce ne doit pas être la seule. Plusieurs analystes ont conclu que les chiffres n’étaient tout simplement pas là. Les résultats de sondages ont sûrement joué, mais les tendances étaient nettes et auraient permis d’y aller avec une chance élevée de remporter la victoire, si ce n’est une majorité.
Je ne suis pas dans le secret des dieux (ou plutôt du conseil des ministres), mais au-delà des sondages, je soupçonne le fait que Mme Marois n’était tout simplement pas à l’aise à l’idée de déclencher des élections maintenant. Peut-être considérait-elle que son statut minoritaire ne l’empêchait pas d’aller de l’avant, d’avancer son programme de gouvernement.
Surtout que depuis la rentrée, elle a manifestement trouvé ses marques en tant que première ministre. Comme un chef d’orchestre aguerri, elle conduit actuellement son équipe sans fausse note, ce qui contraste avec la cacophonie de la première année. Tant qu’elle peut avancer et obtenir des résultats, ce sera difficile de convaincre la première ministre de déclencher des élections.
Même si de mon côté, j’estimais que les conditions étaient réunies, il en manquait une, essentielle: la volonté très claire de la principale intéressée elle-même. En effet, comment la première ministre pourrait-elle faire campagne de façon convaincante, si elle-même n’est pas convaincue de la nécessité de déclencher des élections?
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Ces jours-ci, je suis plongé dans le dernier livre de Paul Wells, The Longer I’m Prime Minister. J’y reviendrai prochainement, de même que sur la politique fédérale. Cette lecture me ramène en arrière, à l’époque où les gouvernements minoritaires étaient la norme à Ottawa. Paul Martin, de 2004 à 2006, puis Stephen Harper de 2006 à 2011, ont gouverné avec une minorité parlementaire et à chaque occasion, le Bloc détenait la balance du pouvoir. J’ai donc assisté (et participé) à de nombreuses péripéties dans un contexte minoritaire.
Dans son récit captivant, Wells raconte qu’à la suite des élections de 2006, Harper était convaincu qu’il n’avait que quelques mois devant lui, le temps que les libéraux se choisissent un nouveau chef et le renversent. Il aura finalement tenu 20 mois et il aurait pu continuer encore s’il n’avait pas déclenché de lui-même des élections générales à l’automne 2008.
Il a perdu son pari, se retrouvant à moins de 15 sièges (sur un total de 308) d’une majorité. Il a ensuite gouverné dans un parlement minoritaire pendant encore 30 longs mois, jusqu’à l’obtention de sa majorité en mai 2011. En octobre 2015, Stephen Harper aura gouverné le Canada pendant presque 10 ans. C’est tout un accomplissement pour celui qui est devenu premier ministre du Canada avec la plus faible minorité de l’histoire.
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Les commentateurs aiment à souligner que les gouvernements minoritaires durent généralement 18 mois. C’est loin d’être certain, comme on vient de le voir. Les partis d’opposition, de leur côté, se sentent toujours très mal à l’aise de laisser vivre un gouvernement qu’ils critiquent quotidiennement. Ils annoncent périodiquement qu’ils vont le renverser à la première occasion. François Legault le clamait déjà avant même les élections!
À Québec, les libéraux laissent entendre depuis le début qu’il y a urgence à se débarrasser du gouvernement péquiste. Mais après plus de 14 mois, ils n’ont toujours pas tenté de le défaire. Il faut dire qu’ils étaient sans chef pendant les sept premiers mois.
Tous les yeux sont maintenant tournés vers le prochain budget, qui est normalement déposé en mars. À ce moment-là, le gouvernement Marois aura exactement 18 mois d’existence. M. Legault a déjà annoncé que si la taxe santé n’était pas abolie, il voterait contre le budget. Il s’est donc peinturé dans le coin et il l’a fait à dessein.
Pourquoi se commettre si tôt? Je vois deux raisons possible, qui ne s’excluent pas l’une l’autre:
- Faire patienter ses troupes, particulièrement la frange adéquiste pour qui c’est difficile d’expliquer à sa base que la CAQ collabore avec un gouvernement péquiste;
- Renvoyer le fardeau de la décision aux libéraux.
En annonçant ses couleurs aussi tôt et de façon aussi tranchée, Legault envoie un double message. Au gouvernement, il dit «Si vous voulez durer avec notre appui, vous devrez éliminer la contribution santé.» Aux libéraux, il dit: «Si vous voulez éviter des élections, c’est vous qui devrez plier les genoux encore une fois en laissant passer le budget du gouvernement Marois.»
Il y a là un positionnement stratégique avisé de la part du chef caquiste et ce n’est pas étonnant si on considère qu’il a l’expérience d’un tel contexte. Il s’est donc mis dans une situation qui lui permet de gagner dans tous les cas de figure. Si le gouvernement acquiesce à sa demande, il gagne. Si le gouvernement refuse, les libéraux se retrouvent avec le fardeau de la décision. Et si jamais les libéraux sont prêts à renverser le gouvernement, M. Legault pourra toujours marcher sur la peinture et gagner du temps.
On peut aussi imaginer facilement une situation, au printemps, où ni les libéraux, ni les caquistes n’auraient les appuis nécessaires pour aller en élections, comme c’est le cas actuellement. Mme Marois pourrait alors continuer à gouverner pendant de longs mois. Rien ne permet d’exclure la possibilité que ce gouvernement dure encore un an ou même plus. Les élections pourraient avoir lieu en 2015 ou même le 3 octobre 2016, comme le prévoit la loi sur les élections à date fixe. C’est le scénario des élections tardives ou même très tardives.
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On ne peut non plus exclure le scénario d’élections déclenchées tôt et même très bientôt.
La commission Charbonneau se dirige tranquillement vers les partis provinciaux. Les journalistes qui couvrent les travaux et qui suivent de près les questions d’intégrité vous diront (en privé) que selon leurs sources, les libéraux pourraient être mis en cause, aussi bien par la commission que par l’UPAC. Si moi je l’entends, les libéraux l’entendent, eux aussi. Avec les perquisitions de l’UPAC au PLQ, l’entretien des policiers avec son chef et cette histoire mettant en cause Tomassi et des personnages de la mafia qui auraient eu leurs entrées au coeur du gouvernement libéral, M. Couillard se retrouve constamment sur la défensive. Imaginez si ça se passait en pleine campagne électorale!
En 2004, à la suite du rapport de Sheila Fraser sur les commandites, les libéraux fédéraux étaient atteints et ils ont perdu des plumes, mais ils avaient résisté suffisamment pour conserver le pouvoir. Un peu comme les libéraux de Jean Charest ont résisté en 2012. C’est le deuxième coup de boutoir, asséné par les travaux de la commission Gomery, qui ont achevé les libéraux de Paul Martin en 2005-2006. Les travaux de la commission Charbonneau pourraient avoir les mêmes conséquences sur les libéraux de Philippe Couillard en 2014. Et si moi je m’en souviens, les libéraux doivent s’en souvenir, eux aussi.
La tentation de déclencher des élections avant que l’avalanche des révélations ne les atteignent doit donc être très forte chez les libéraux. Rien n’interdit de penser qu’ils essaient de renverser rapidement le gouvernement avec l’aide de députés caquistes en rupture de ban. Ceux de la région de Québec, par exemple, qui auraient bien de la misère à expliquer pourquoi ils voteraient contre une motion (même libérale) visant à renverser un gouvernement péquiste.
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La première ministre pourrait être tentée de déclencher des élections beaucoup plus tôt qu’on ne le croit si l’opposition pousse trop sa «luck».
Les libéraux pratiquent la politique de la terre brûlée depuis septembre 2012. Ils tentent de bloquer sans hésitation à peu près tous les projets de loi du gouvernement. Philippe Couillard a même annoncé qu’il faudrait lui passer sur le corps pour adopter la charte des valeurs. Pour l’instant, ce ne sont que des haut-cris.
Le gouvernement peut très bien vivre avec cette attitude libérale tant que la CAQ est prête à collaborer pour faire avancer et adopter les projets de loi importants. Mais en votant contre celui sur les mines mercredi dernier, les caquistes ont annoncé leur volonté de vivre dangereusement. Il s’agissait en effet d’un vote de deuxième lecture et la CAQ aurait très bien pu voter en faveur, en exigeant des changements lors de l’étape suivante. Déjà, cette formation avait refusé au gouvernement son projet de Banque de développement économique. En s’alliant aux libéraux pour bloquer des projets économiques importants comme celui sur les mines, la CAQ pousse le gouvernement dans ses retranchements.
La particularité d’un parlement minoritaire pour les partis d’opposition, c’est qu’ils portent une lourde responsabilité. C’est facile de s’opposer systématiquement au gouvernement lorsque celui-ci est majoritaire, car il n’y a guère de conséquence. C’est très différent dans un parlement minoritaire, où l’opposition systématique peut mener au déclenchement d’élections générales. Jusqu’ici, les libéraux ont eu beau jeu de s’opposer systématiquement en laissant à la CAQ le fardeau de la collaboration avec le gouvernement. Mais les caquistes semblent en avoir assez de jouer le rôle du bon gars, de l’opposition constructive.
Si les caquistes et les libéraux poursuivent sur cette voie, ils pourraient provoquer un changement d’humeur chez la première ministre. Je la connais assez pour savoir que sa principale motivation politique, c’est de faire aboutir des projets en gouvernant. Si vous lui donnez le choix entre mener une campagne politique ou gouverner, elle choisira immanquablement la seconde option.
Mais si l’opposition l’empêche de gouverner, quel choix lui restera-t-il?
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