
Le Sénat rempli pour la lecture d’un discours du trône. (crédit photo: Sean Kilpatrick/ Presse Canadienne.)
Le Parti conservateur ayant été élu en 2011 avec l’une des plateformes électorales les plus minces des dernières décennies, il était prévisible qu’à mi-mandat, il se chercherait un nouveau souffle. Sans menu législative costaud à se mettre sous la dent au printemps, le Parlement a tourné à vide et le gouvernement Harper s’est fait balloter d’une controverse à l’autre.
Il est assez ironique que le discours du Trône que le premier ministre souhaite utiliser pour relancer la machine soit lu au Sénat, la Chambre haute, qui a perdu tellement de hauteur depuis quelques mois avec les scandales des dépenses des sénateurs.
Une rare tradition que Stephen Harper ne devait pas savourer lorsqu’il posait les yeux sur Pamela Wallin ou Mike Duffy pendant la lecture du discours du trône par le gouverneur général, David Johnston.
Pour faire oublier les sénateurs, Stephen Harper souhaite recentrer son action autour de ses thèmes fétiches: économie, criminalité, finances publiques, patriotisme.
À la lecture des 25 pages du discours du trône, il est difficile de dénicher une nouveauté importante, quelque chose qui structurerait la deuxième moitié du mandat du gouvernement. On est dans la continuité et les ajustements.
Au point où certaines pages font douter de la pertinence d’avoir proroger le Parlement. Une réflexion d’un mois pour si peu?
La seule avenue un peu différente que souhaite emprunter Stephen Harper concerne la défense des consommateurs. Et encore là, le menu est plus mince que les nombreuses rumeurs qui ont précédé le discours du trône.
Ce n’est pas une offensive tous azimuts, même si le gouvernement affirme dans le document que «les entreprises s’intéressent à leurs résultats financiers, mais notre gouvernement se préoccupe de la population canadienne en général».
N’empêche, il y a quelques intentions: le gouvernement parle des forfaits de cellulaire et des frais d’itinérance qui coûtent trop cher; des bouquets de chaines télé qui forcent les consommateurs à payer pour des réseaux qu’ils ne veulent pas; des services bancaires trop dispendieux; la possibilité d’obtenir des exemplaires papiers d’une facture sans frais; ou encore des prix plus élevés pour certains biens au Canada comparativement aux États-Unis…
(Au moins, le gouvernement n’a pas promis de se porter à la défense des voyageurs aériens contre les compagnies, contrairement aux rumeurs des derniers jours, ce qui lui évite d’expliquer pourquoi il a voté contre des projets de loi du NPD qui allaient en ce sens en 2010 et 2012…)
Ce n’est pas un grand plan pour améliorer le sort du pays ou faire avancer la société, mais c’est politiquement vendeur.
Car le consommateur, c’est tout le monde en âge de voter au Canada.
Toucher le portefeuille et les irritants de la vie au quotidien, comme les frais de cellulaire ou bancaire, c’est facile à comprendre pour l’électeur, c’est accrocheur, et donc simple à mettre en marché dans des clips télé ou radio de quelques secondes, ou encore sur les réseaux sociaux.
Harper est devenu le spécialiste de ces politiques ciblées, idéales à vendre en porte-à-porte pour les candidats conservateur, comme ce fut le cas avec les crédits d’impôt pour les activités sportives ou artistiques des enfants (dont l’effet est nul sur la fréquentation de ces activités, car les montants du gouvernement sont trop petits, mais c’est séduisant en campagne électorale).
L’autre avantage du virage consommateur est tactique : Harper va jouer dans les plates bandes du NPD et dans une moindre mesure, du PLC.
Et c’est ainsi qu’on arrive à la question de la crédibilité.
Pour réussir son pari de relancer son gouvernement sur cette base, Stephen Harper devra incarner la défense des consommateurs. Les citoyens devront croire que les belles paroles se traduiront en actions concrètes. Que Harper est mieux placé que le NPD de Mulcair ou le PLC de Trudeau pour défendre leurs intérêts face à «Corporate Canada», les grandes entreprises visées par ces annonces (entreprises de télécommunication, banques, etc.).
Ce même «Canada Inc.» qui a bénéficié de très fortes baisses d’impôt du gouvernement Harper depuis 2007 (de 22 % à 15 %), alors que les finances publiques sont mal en point et que le gouvernement préfère réformer l’assurance-emploi…
Les citoyens devront acheter l’idée que Harper ne fera pas comme certains de ses précédents discours du trône, où l’action contre les grandes entreprises n’a pas suivi les promesses. Par exemple: la réglementation pour forcer les industries pétrolières et gazières à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. C’était dans le discours du Trône de 2007. On attend toujours ces fameuses cibles de réduction, six ans plus tard… (le gouvernement réitère encore ce souhait cette année, mais de manière beaucoup plus vague.)
Le créneau politique de la défense du consommateur est occupé par le NPD depuis de nombreuses années.
Le NPD parle des taux d’intérêt trop élevés pour les cartes de crédit et les frais exorbitants pour une simple transaction dans un guichet automatique depuis des années. Jack Layton déchirait presque sa chemise sur le sujet en Chambre. Le gouvernement conservateur n’y voyait pas une priorité.
Le gouvernement Harper riait au nez du NPD quand ce dernier demandait que les entreprises cessent d’exiger 2 $ ou 3 $ pour obtenir une facture papier de son compte de cellulaire ou bancaire. Cette mesure est pourtant maintenant dans le discours du Trône…
Les sondages placent d’ailleurs le NPD en tête quand vient la question: «Quel parti est le mieux placé pour défendre les consommateurs?». Le Parti conservateur est souvent troisième, derrière le PLC.
Harper est plutôt premier dans les sondages quand vient le temps de répondre aux questions sur la gestion de l’économie et des finances publiques. C’est son thème de prédilection depuis un bon moment. S’il le délaisse entièrement au profit de la défense des consommateurs, il prend un risque politique. Il ne le fera donc pas. Le virage ne sera pas total.
Du côté du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau parle beaucoup de la classe moyenne depuis un an. Il veut en faire le centre de son action politique. Or, les consommateurs, c’est beaucoup la fameuse classe moyenne.
Le chef conservateur vient donc jouer dans les plates-bandes du NPD, et dans une moindre mesure (car le discours est plus nouveau), dans celles du PLC.
Si Stephen Harper réussi à présenter un cocktail composé de la défense des consommateurs ET de l’économie aux électeurs, il pourrait avoir une main gagnante en 2015. Il coincerait Mulcair et le NPD sur son terrain, tout en compliquant la vie du PLC de Trudeau.
Mais pour y parvenir, Harper devra incarner la défense des consommateurs. Leur montrer qu’il est crédible sur ce front.
Le pari n’est pas gagné.
Il est aussi possible que les citoyens préfèrent l’original à la copie, et que ce nouveau thème ne soit qu’un coup d’épée dans l’eau pour le gouvernement. À suivre d’ici les élections fédérales, dans deux ans.
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