Comme je l’expliquais hier, les raisons ne manquent pas de ne pas intervenir en Syrie d’un strict point de vue des intérêts américains. Mais alors, pourquoi se montrent-ils aussi déterminés à agir depuis le début de la semaine ? En réalité, ce sont les prises de positions antérieures des États-Unis qui font d’une intervention une question de crédibilité. Pourtant, rien n’indique qu’ils aient l’intention de s’impliquer lourdement dans ce conflit.
Autant les États-Unis ont les mains liées par la Russie au Conseil de sécurité, autant ils sont poussés à agir par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (1997) et par le fait qu’il s’agit de la dernière ligne rouge en date à avoir été franchie. Ce qui rappelle au passage la vacuité de tracer des lignes à ne pas franchir quand on n’a pas l’intention ni les moyens de les faire respecter. Mais si les États-Unis et quelques autre pays occidentaux n’ont même plus le luxe de défendre verbalement une certaine supériorité morale sur la scène internationale, ne leur reste-t-il que la Realpolitik la plus cynique ? D’ailleurs, où en sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France dans la destruction de leurs stocks d’armes chimiques en conformité avec leur adhésion à cette convention ?
Mais ces questions théoriques ne résolvent pas le problème du commandement américain. Comme je l’expliquais lundi à Daniel Mathieu, l’option la plus simple et la plus probable serait d’effectuer des frappes punitives contre des cibles précises et énumérées. Cela soulignerait que le régime de prohibition des armes chimiques est bien en vigueur puisqu’il existe des sanctions (dont personne n’a précisé qu’elles devaient se traduire par le renversement du régime coupable), sans entraîner les États-Unis plus avant dans un conflit inextricable aux issues incontrôlables et sans que l’absence d’approbation par le Conseil de sécurité ne soit trop problématique.
L’option la plus simple donc, ce qui ne veut pas dire qu’elle sera facile. D’abord, même les opérations les plus élémentaires requièrent aujourd’hui des ressources importantes (un économiste dirait que les barrières à l’entrée sur le marché de la frappe à l’autre bout du monde sont élevées). Sachant que le régime syrien pourrait déplacer ses stocks, voire (continuer à) les utiliser en représailles, l’utilité stratégique d’une telle manœuvre est encore à trouver. Enfin, se pose la question cruciale de la rhétorique qui devra accompagner cette opération (le fameux spinning) : cette opération permettra-t-elle d’affirmer que les Occidentaux n’ont pas absolument rien fait pour les rebelles syriens, dont la majorité ressemble tellement à cette foule qu’on aimait tellement contempler en Tunisie et en Égypte ? Ou bien cette opération sera-t-elle perçue comme l’incarnation des prétentions morales occidentales : spectaculaires et futiles ?
Finalement, cette opération n’emporterait aucune conséquence sur le cours de la guerre, ce qui pourrait, du point de vue le plus cynique, être dans le meilleur intérêt américain : un « match nul à durée indéterminée. »
En complément:
- Durcissement du ton de l’administration Obama envers le régime syrien – Entrevue de Pierre-Alain Clément, Le monde selon Mathieu, Radio-Canada Ottawa, lundi 26 août 2013.
Pierre-Alain Clément
Directeur adjoint de l’Observatoire de géopolitique
Chaire @RDandurand @UQAM
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