La perspective de l’utilisation de la force par les États-Unis contre le régime syrien est devenue en quelques jours très probable. La plus grande inconnue demeure en réalité la forme que prendrait cette utilisation.
Aujourd’hui pas plus qu’hier, les États-Unis n’ont envie de s’impliquer dans le cauchemar syrien. Comme l’expliquait il y a trois jours Stephen Walt, « la possibilité que des armes chimiques soient utilisées font monter l’enjeu politique pour Obama mais ne change pas l’équation stratégique. » D’un strict point de vue pragmatique, comment lui donner tort ? Ces doutes sont partagés parmi les décideurs américains.
En effet, même si les chancelleries occidentales, en particulier britannique et française, rêvent de voir chuter Al-Assad pour des raisons qui peuvent être très bonnes, les obstacles sont nombreux. Dans l’ordre chronologique d’une intervention :
- renverser Al-Assad mais avec quelle légitimité ? La Russie est déterminée à opposer son veto à toute résolution du Conseil de sécurité. Elle aide, de même que l’Iran, le régime et n’a pas l’intention de perdre son dernier allié arabe (après l’Irak, la Libye et le Yémen).
- renverser Al-Assad mais dans quelles conditions ? Pour se lancer une guerre, il faut : (a) vouloir la gagner ; (b) être sûr de la gagner. Al-Assad remplit à coup sur la première condition, lui qui joue la survie de son régime et de sa personne. Mais les États-Unis ne remplissent aucune de ces deux conditions, ce qui augure mal de toute intervention d’ampleur.
- renverser Al-Assad mais avec quels alliés ? Le Royaume-Uni et la France poussent les Américains au conflit depuis plusieurs mois, là encore avec l’argument des armes chimiques. Mais ce ne sont pas eux, qui ont dû demander des renforts à l’intendance américaine pour aller pilonner Kadhafi, qui vont porter le gros de l’effort de guerre. La France a déjà peiné à déployer 4 500 hommes au Mali pour une guerre qui promettait, comme toujours, d’être courte et qui continue depuis huit mois.
- renverser Al-Assad mais avec quelles ressources ? En termes de coûts, la mise en place d’une simple zone d’exclusion aérienne en Syrie coûterait environ un milliard de dollars par mois, selon le haut commandement militaire américain. Étant donné que le régime est pour l’instant en situation de remporter la guerre, cette assistance américaine rééquilibrerait les forces : la guerre civile pourrait ainsi perdurer de longs mois, voire, des années, à un prix astronomique pour les États-Unis. Et pour quels avantages concrets à détailler devant le Congrès et les contribuables ? Une forte majorité d’Américains s’oppose déjà à une hypothétique intervention (à moins qu’il n’y ait aucune vie de mise en danger) et le prix Nobel de la paix Obama aurait du mal à expliquer comment il est passé du discours du Caire de juin 2009 à sa quatrième guerre au Moyen-Orient.
- renverser Al-Assad mais pour quel résultat ? Les analystes ne comptent plus le nombre de risques d’une victoire rebelle : l’écroulement de l’État, la récupération du pouvoir par des islamistes radicaux, l’extension d’un foyer de jihad aux voisins (Turquie, Irak, Liban, Jordanie). Toutes autant de réjouissantes perspectives… Autant le régime syrien n’est pas le dernier responsable de l’écroulement du pays et de la propagation de jihadistes dans la région (en particulier en Irak), autant s’assurer de l’écroulement total du pays est une décision dont sûrement personne n’aimerait être l’arbitre. Quand la meilleure solution reste d’armer l’Armée syrienne libre en espérant ces armes ne tombent entre les mauvaises mains des jihadistes, c’est que la situation est critique.
Dans ces conditions, comment expliquer la toute récente détermination des États-Unis à s’impliquer dans un conflit qu’ils évitent soigneusement depuis deux ans et demi ? Premièrement, les États-Unis ne vont probablement pas s’impliquer lourdement. Deuxièmement, cette implication est rendue de plus en plus pressante en raison des engagements précédents des États-Unis sur la question des armes chimiques. Nous reviendrons en détail sur ces deux points demain dans un second billet sur la Syrie.
Pierre-Alain Clément
Directeur adjoint de l’Observatoire de géopolitique
Chaire @RDandurand @UQAM
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