Le spectaculaire Iron Man de Mont-Tremblant est terminé. Le champion australien Luke Bell a établi un record en 8h26. Chez les femmes, l’américaine Mary Beth Ellis, rayonnante, a bouclé le circuit en 9h08. Quels formidables athlètes.
Alors, c’est bon pour la santé, le sport? Sûrement, c’est d’ailleurs bien démontré. Mais peut-on faire trop de sport? Trop d’Iron Man? Peut-être que oui.
C’est que, comme en tout, dans notre monde un peu plate, c’est la modération sportive qui a meilleur goût. Ce qui est très bien pour moi, pas sportif naturel pour deux sous et souffrant même d’un petit fond paresseux.
J’ai suivi de loin (sur les réseaux sociaux, c’est tout dire) l’Iron Man du Mont-Tremblant. Et bien humblement, sachant que je n’ai pas ce qu’il faut, ni dans la tête ni dans les cuisses, pour réussir le quart de ce qu’ils font, je les salue bien bas.
Qu’on y pense : 3,8 km de natation, puis 180 km de cyclisme, puis, tout bonnement, un marathon complet, 42,195 km. Rien que ça! Et courir entre les étapes tout en changeant d’uniformes, de casques et de souliers. Assortis, bien entendu.
L’Iron Man : directement d’Hawaï.
D’où vient cette idée folle? D’Hawaï, siège de l’épreuve-reine du circuit Iron Man (au fait : c’est une marque déposée), où le Championnat du monde a lieu en octobre de chaque année. Le berceau de la course.
C’était au départ une question d’orgueil de gars: il s’agissait de savoir qui, des nageurs, des cyclistes ou des coureurs, étaient les plus formidables athlètes. Évidemment difficile à comparer directement.
D’où l’idée de combiner les trois courses de longue durée de l’Ile: le Waikiki Roughwater Swim, la course cycliste Around-Oahu et le marathon d’Honolulu. Ce qui donnait à peu près les distances de ce qui deviendra l’Iron Man. Il suffisait d’y penser.
Réussir un Iron Man demande un courage certain et une volonté de fer, mais aussi une préparation minutieuse. Imaginez : savoir bien nager, bien rouler et bien courir et enchainer tout ça avec le sourire. Ou presque.
Ce qui suppose, bien évidemment, des milliers d’heures d’entrainement. Mais surtout, il faut l’avoir solidement planté entre les deux oreilles.
Au moins quatre de mes collègues s’adonnent à ce « passe-temps ». Ce week-end, à Mont-Tremblant, le chirurgien cardiaque Michel Pellerin a complété la course en 12h14. Chapeau Michel! Il racontait en 2011, dans une entrevue à Radio-Canada, qu’il visualisait ses opérations à cœur ouvert lors de ses longs entrainements!
Alors si des médecins le font, ça doit être bon pour la santé, non? Sûrement.
Le sport est bon pour la santé…
Mieux: le sport est excellent pour la santé.
Toutes les études le montrent, l’exercice a des impacts favorables à tous les points de vue : cœur, cancer, circulation, état d’esprit, anxiété, arthrose, maux de dos, constipation, name it.
Bref, on peut prévenir une grande variété de maladies et améliorer le contrôle de beaucoup d’autres. Tout en jouissant mieux de la vie. C’est clair et net.
Mais… combien d’exercice? Ça, c’est plus difficile à répondre.
Pas d’exercice, d’abord, on sait que c’est vraiment pas bon pour la santé.
Un peu d’exercice, c’est déjà mieux.
Et de l’exercice régulier, au moins modérément, c’est vraiment très bien. On recommande par exemple 150 minutes par semaine d’exercice modéré. Plus un peu de musculation et d’étirement. Alors, qui fait ça?
Ça permet même d’allonger la vie : un décès prématuré sur 10 de par le monde serait directement lié à l’inactivité, un effet similaire à celui du tabac. C’est tout de même de 5.3 millions de morts de trop en 2008!
Même moi, qui avais souvent négligé de faire du sport dans ces périodes où je « manquais de temps », j’ai recommencé, il y a trois ans – à force d’en parler à l’émission Les Docteurs, j’imagine – à courir régulièrement, alors que j’avais toujours été fort ennuyé par cette activité.
Puis, malgré une ou deux blessures mineures, j’y ai pris goût.
Pas autant qu’Yves Boisvert, on s’entend, dont je suis bien loin de son 5 km sous les vingt minutes (respect) – mais assez pour faire mon petit bout de chemin et prendre plaisir à m’entrainer régulièrement. Tiens, je vais courir un second 10 km en octobre prochain.
Aussi, j’aime nager (dans un lac) et aller au boulot à vélo. Je suis donc presque un triathlonien dans l’âme. D’ailleurs, je me sens beaucoup mieux, à tous les points de vue, depuis que j’en ai fait ma routine.
Mais je me suis souvent posé la question : ceux qui en font beaucoup plus que moi, qui s’entrainent comme des « malades » ou du moins assez pour être capables de réussir une épreuve d’Iron Man, comment s’en sortent-ils? Quand est-ce que « trop c’est trop »?
…en autant qu’on reste raisonnable!
Avec trop d’exercice, perdrait-on l’effet bénéfique sur la mortalité? C’est quand même une question importante.
Malheureusement, il semble que oui. Que c’est une courbe en « U », où le gain maximal est au milieu de la courbe – soit dans l’ordinaire modération. Qui sied bien à un semi-paresseux comme moi.
Une étude américaine a fait grand bruit l’an dernier : elle calculait qu’au terme du suivi de 31 ans de 52626 adultes, les coureurs (27% des sujets) voyaient leur mortalité réduite en moyenne de 19%! Ce qui est formidable.
Mais cet effet bénéfique se perdait s’ils couraient plus de 32 km par semaine (voir graphique). Ou trop rapidement. Ou encore trop souvent!

Running and All-cause Mortality Risk – Is More Better. Lee DC, Pate R., Lavie CJ, Blair SN. American College of Sports Medicine (ACSM) 59th Annual Meeting and 3rd World Congress on Exercise. 2012.
En réalité, les plus grands bénéfices (sur la mortalité) se retrouvent chez ceux qui courent entre 16 et 24 km par semaine à une vitesse somme toute moyenne, deux fois par semaine. Courir de trois à cinq fois est correct aussi, mais pas six ou sept fois.
Et le Iron Man?
Au fait, qu’est-ce qui peut se passer, concrètement, quand on va au bout de soi-même et qu’on participe à un Iron Man? Mis à part ce sentiment d’accomplissement, appuyé sur une forme physique impeccable et une bonne poussée d’endorphines?
J’ai eu le plaisir d’en discuter avec mon collègue Marc Gosselin, urgentologue à l’Hôpital de Sainte-Agathe et passionné de médecine sportive.
Il s’y connait pas mal: c’est le directeur médical du Iron Man de Mont-Tremblant. Mais c’est aussi un athlète, pratiquant lui-même le triathlon et ayant déjà couru un Iron Man et quelques demis.

Docteur Marc Gosselin, urgentologue et directeur médical, Iron Man Mont-Tremblant (photo fournie par le sujet).
Comme responsable médical, il a créé avec la docteure Eileen Brudges un blogue pour informer les gens et former les autres professionnels, où l’on trouve une mine d’informations, entre autres sur la préparation médicale.
Parce que la clef, pour le docteur Gosselin, est justement… dans la préparation. Il arrivera quelque chose durant la course. Nécessairement. Ce sera parfois grave.
Dans son modèle basé sur les données disponibles, il prévoit donc plus ou moins… 400 consultations pour chaque Iron Man. Dont 90% surviendront en soirée, après 12 à 14 heures de course.
Il anticipe aussi de 10 à 15 transferts vers l’hôpital. Et peut-être un patient assez instable pour être dirigé vers les soins intensifs.
Or, de son propre aveu, ses prédictions étaient… plutôt justes cette année. Ce qui fut bien utile pour bien planifier.
Le nombre de consultations varie, bien entendu, par exemple avec la température. Il y a eu, ce dimanche dernier un peu chaud, environ deux fois plus de consultations qu’en 2012, année où une bonne pluie et une soirée fraiche avaient aidé les athlètes.
Une petite armée de professionnels bénévoles permet heureusement d’encadrer et de soigner tous les athlètes amochés: 35 médecins, urgentologues, anesthésistes, intensivistes; autant d’infirmières, 6 inhalothérapeutes; une centaine d’étudiants en soins préhospitaliers ou de paramédics; et plusieurs autres professionnels.
Une équipe sérieuse, bien formée, qui a d’ailleurs reçu d’excellents commentaires de la part des athlètes et des organisateurs, qui prennent la santé au sérieux et ne lésinent pas sur les moyens.
Tout ce beau monde gravite autour d’un véritable petit hôpital de campagne équipé de plusieurs dizaines de civières et d’une salle de réanimation complète.
Pour traiter quoi? Généralement quelques patients dans la portion aquatique, où évidemment il est périlleux d’éprouver un malaise, l’accès aux secours étant plus complexes. Mais avec une eau à 19ºC ce week-end, pas de problème d’hypothermie (comparativement au 16ºC, lors du demi-Iron Man de juin, un peu froid).
Par la suite, 2700 cyclistes poussés à fond de train ne peuvent évidemment éviter toute chute. Environ 10% des patients de l’équipe seront donc ces cyclistes, avec leurs lots de traumatismes: fractures de côtes, traumas crâniens, abrasions, contusions, etc. Tout cela s’est vu.
Et aussi les premiers cas de déshydratation et de crampes qui, contrairement à la croyance populaire, ne sont pas liées à un débalancement des électrolytes (potassium, sodium) et répondent à de simples étirements.
Mais 71% de leurs patients « consultent » plutôt à l’arrivée, suite à la phase exténuante de la course à pied et ayant complété leur parcours tant bien que mal.
Ceux-là ne sont pas tous égaux dans la « victoire »: certains paraissent frais comme des roses, d’autres sont plus amochés.
Parfois des cas graves
Le cas classique, souvent vu à la télévision: après le fil d’arrivée, l’athlète, pâle et affaibli, titube, puis tombe.
C’est le « collapsus associé à l’exercice », effondrement de la pression artérielle et des forces musculaires, aussi spectaculaire que facilement réversible dans la plupart des cas, s’il n’y a pas de complication. La plupart des athlètes vont s’en tirer indemne et quitter sur leurs pieds peu de temps après, moyennant du repos, l’élévation des jambes et une hydratation orale.
Il faut plutôt se méfier de ceux qui tombent avant l’arrivée, parfois plus gravement atteints. Ces cas de « collapsus complexes » (souvent associé à une confusion et une température corporelle de plus de 40°C peuvent cacher des complications diverses.
L’hyperthermie à plus de 40°C est par exemple une condition grave. Déjà que l’exercice intense fait beaucoup grimper la température du corps, les mécanismes naturels de refroidissement sont alors insuffisants. Les personnes sont confuses, léthargiques, affaiblies; sans aide extérieur (refroidissement, hydratation, solutés, etc.), elles sont en danger.
Liquides, sodium, glucose
On sue évidemment beaucoup sous le soleil, surtout en dépense énergétique maximale (ce qui permet d’éviter l’hyperthermie). On perd donc de l’eau et du sel en quantité, si bien qu’il devient parfois difficile de retrouver l’équilibre.
On l’aura compris, la régulation des liquides et des électrolytes est un facteur clef. Il faut boire, bien entendu, mais aussi bien boire, soit des solutions contenant juste assez de sodium (pour remplacer celui qui est perdu durant la course) et de glucides (pour redonner l’énergie requise à la machine). Mais cela veut aussi dire: ne pas trop boire.
Le docteur Gosselin raconte qu’il lui est facile de savoir si certains ont abusé de liquides: il suffit de les peser au début et à l’arrivée de la course. Terminer plus lourd qu’au départ est un signe certain d’hyperhydratation.
Conséquence: si les liquides absorbés en trop sont pauvres en sodium (eau pure par exemple), les athlètes pourront se retrouver en hyponatrémie, une baisse du sodium sanguin parfois grave au point de conduire au coma.
On constate aussi des tableaux cliniques étranges: un patient confus qui, allongé sur civière, ne peut arrêter ses jambes de courir jusqu’à ce qu’on corrige le tout par des solutés.
Parfois, beaucoup plus rarement, il y aura des problèmes cardiaques.
Déjà qu’une bonne proportion des athlètes participant à ces courses voient leurs « marqueurs cardiaques » s’élever, un peu comme lorsque l’on fait un petit infarctus. Le mécanisme en est incertain mais le plus souvent, c’est sans conséquence.
Mais selon le cardiologue Éric Larose, les coureurs de fond qui poussent trop la machine peuvent aussi endommager légèrement le muscle cardiaque, et ce, pour quelques mois, ce qui n’est pas à négliger.
Et surtout, parmi ce lot de plusieurs milliers d’athlètes soumis à ce stress physique (et psychologique) intense, il y aura parfois de vrais cas d’infarctus, condition grave qu’on retrouvera plus souvent chez les coureurs mâles au-dessus de plus de 40 et surtout 50 ans.
Enfin, il y a aussi, mais cette fois très rarement, des cas d’arrêt cardiaque. La nage semble être une phase de la course propice pour cette complication.
Fort heureusement, aucun arrêt cardiaque à Mont-Tremblant, bien qu’on en dénombre quelques-uns chaque année sur le circuit des courses de longue distance. Ce fut d’ailleurs le cas au marathon de Montréal de 2011. L’équipe du docteur Gosselin aurait été prête à agir prestement.
Bien plus souvent, ce seront les douleurs habituelles, étirements musculaires, tendinites, quelques troubles gastriques bénins (seconde raison de consultation) et d’autres malaises mineurs plus ou moins vite oubliés en regard du bonheur intense ressenti par ces combattants à l’arrivée, quand on les sacre « Iron Man ».
La prévention a meilleur goût
Au fait, j’ai songé sommairement, en commençant à courir à 47 ans, que je ferais à 50 ans un triathlon « ordinaire » (distance olympique : 1.5 km de nage, 40 km de vélo et 10 km de course). Je ne sais pas si je vais réussir. Pour l’instant, je me contente de faire toutes ces distances… pas nécessairement le même jour.
Mais quand je me sens un peu trop paresseux, je me repasse l’histoire de Dick Hoyt et de son fils. Comment? Vous ne connaissez pas? Alors, allez voir ceci. Je vous avertis, vous n’en sortirez pas indemne.
Il me reste un an pour y arriver. Mais je ne ferai pas de dépression si je n’en fais que de petits bouts. Car je n’ai pas de grandes ambitions sportives. Pousse, mais pousse égal, comme on dit.
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