Un an après sa victoire électorale dans la circonscription de Gouin, Françoise David peut, avec le recul, affirmer que son arrivée à l’Assemblée nationale a peut-être sauvé Québec Solidaire. Une défaite aurait eu l’effet d’une douche froide sur les militants. « La population, y compris les progressistes, a besoin de sentir qu’une idée, un groupe et un parti avancent. Si on reste seul trop longtemps, comme ç’a été le cas pour Amir Khadir, un certain découragement peut s’installer », dit-elle.
Une possibilité qui semble bien lointaine à l’approche de la rentrée parlementaire : le parti obtient 11 % dans les intentions de vote, soit deux fois plus que la récolte lors du scrutin du 4 septembre 2012. Le financement va également bien. La première moitié de 2013 a permis d’amasser 118 000 dollars, soit plus que la CAQ.
Au point où Françoise David vise maintenant le sommet. « On doit montrer qu’on a une équipe crédible, capable de gouverner. Je n’aurais pas dit ça il y a quelques années, mais maintenant, on a tout ce qu’il faut pour accéder aux plus hautes fonctions. On veut apparaître comme une véritable alternative au gouvernement », dit-elle.
Pour y arriver, Québec solidaire misera notamment sur le dossier énergétique cet automne, alors que commenceront les consultations publiques du gouvernement afin d’élaborer une nouvelle politique énergétique. « Ça va être un débat majeur », prédit-elle.
Son parti mènera une campagne politique d’envergure pour faire connaître ses idées, avec une tournée régionale, la mise en ligne d’un site Web, une présence dans les médias sociaux et du porte-à-porte. Avec une position claire : l’avenir du Québec n’est pas dans le pétrole. « Nous aurons des positions qui, de toute évidence, seront différentes de celles de toute la classe politique. Pour nous, c’est un moment important. La population jugera », conclut-elle.
L’actualité l’a joint à son chalet, dans Lanaudière, au début du mois d’août, pour faire le point en vue de la rentrée politique.
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D’abord, comment va votre santé ? Vous avez déclaré forfait lors de la cérémonie commémorative à Lac-Mégantic, le 27 juillet, et beaucoup de gens se sont inquiétés.
C’est l’affaire la plus drôle que j’aie vécue ! Je devais y aller avec mon co-porte-parole, Andrés Fontecilla, mais le matin même, vers 7 h, il m’appelle et me dit qu’il ne peut pas s’y rendre, il est malade et fait beaucoup de fièvre. J’ai tenté de joindre des gens, mais c’était un samedi matin de juillet, alors personne n’était disponible. Il me restait la perspective d’y aller seule, ce qui veut dire six heures de route, aller-retour. J’ai dit : « Je n’y vais pas. » On a publié un communiqué de presse qui parlait de problème de santé, et les gens ont déduit que c’était moi qui étais malade ! Mais pas du tout. J’étais à Lac-Mégantic la semaine précédente pour appuyer la population. La perspective de conduire seule et de revenir tard ne me tentait pas. Dans une période habituelle, hors des vacances, un attaché politique serait venu avec moi et tout aurait bien été.
Voilà qui est réglé. Si on revient un peu en arrière, à quel point votre victoire dans Gouin a-t-elle été cruciale pour Québec solidaire ?
Elle l’était. Il fallait être capable de dire à la population qu’on pouvait aller plus loin que le magnifique, mais unique député de Mercier, Amir Khadir. Je rappelle au passage qu’Amir a remporté sa circonscription avec 8 000 voix de majorité, alors qu’il avait obtenu seulement 800 voix d’avance en 2008, et ce, malgré un printemps difficile. Mais ça n’aurait pas été suffisant pour montrer aux gens que le parti continue de grandir. La population, y compris les progressistes, a besoin de sentir qu’une idée, un groupe et un parti avancent. Si on reste seul trop longtemps, un certain découragement peut s’installer.
Avez-vous été aussi visible que vous le souhaitiez à l’Assemblée nationale ? Il me semble qu’on vous a moins vu que prévu ?
Je suis une personne très réaliste. J’avais vu comment ça se passait les années précédentes avec Amir, alors je me doutais que ce ne serait pas aussi simple une fois l’effet de nouveauté passé, que la visibilité ne serait pas facile à obtenir. Ce n’est pas qu’on n’essaie pas. Québec solidaire fait deux à trois points de presse par semaine. La raison est simple, et c’est dommage, mais il y a trois autres partis plus gros que nous. Les journalistes couvrent les autres, et s’il reste un peu de place, on nous en accorde. On a souvent une ligne à la fin d’un article de journal, mais rien à la télé. Il faut donc travailler autrement, notamment avec les médias sociaux. Heureusement que ça existe. Mais c’est vrai — même si ce n’est pas une surprise — que ce n’est pas toujours facile. Les gens avaient de grandes attentes.
Le plus dommage, c’est qu’on se prive d’une voix différente. Quand le PLQ et la CAQ critiquent le gouvernement, c’est généralement en vertu d’arguments plus à droite. Le seul parti qui formule une critique de gauche, c’est nous.
Pourtant des sondages indiquent que les intentions de vote pour votre parti ont doublé depuis les élections, il y a un an. C’est dû à quoi ?
À l’immense déception face à la gouvernance péquiste. Il y a bien des gens qui ont voté pour le PQ, plutôt que pour nous, parce qu’ils voulaient se débarrasser des libéraux. Ces personnes sont extrêmement déçues. Le début du mandat était correct, mais tout a basculé au budget. Depuis, c’est coupe par-dessus coupe. Là, on hurle contre les hausses de taxes scolaires, mais c’était prévisible. Les commissions scolaires ont été fortement touchées et le gouvernement leur a dit d’utiliser leur pouvoir de taxation. Ça veut dire pelleter le problème du déficit dans la cour des autres. Ça enrage les gens. Les coupes à l’aide sociale, c’est la même chose. Je suis impliquée dans ce secteur depuis 25 ans et je n’ai jamais vu une telle unanimité : on coupe les plus pauvres, alors que pour les plus riches et les grandes entreprises, tout va bien.
La tragédie de Lac-Mégantic a ramené à l’avant-plan un débat latent depuis quelques mois au Québec, celui de l’énergie, notamment de son transport et des projets d’oléoducs. Vous voyez ça comment ?
C’est plus large que ça. Il y a la question de la sécurité du transport, qui est surtout fédérale. Les gens réalisent qu’il y a des bombes potentielles qui passent près de chez eux. Ça va rester dans l’imaginaire et il y aura de plus en plus de gens pour poser des questions.
Mais la vraie question, c’est : qu’est-ce qu’on veut comme avenir énergétique pour le Québec ? Le ministère des Ressources naturelles commence une consultation dans 15 villes cet automne, nous entendons être très présents.
Le lobby du pipeline fait surface et dit qu’il est le meilleur moyen de transport parce qu’il ne cause pas de morts d’hommes. Mais il y a quand même des conséquences environnementales à des déversements. On doit commencer à réduire notre dépendance au pétrole.
Mais le Québec est un importateur de pétrole, il faudra bien le transporter d’une manière ou d’une autre ?
Pour le moment, on continue de le faire par bateau. Mais il faut surtout diminuer notre utilisation. Ce n’est pas seulement une question de transport. On est contre l’extraction du pétrole à Anticosti et contre Old Harry, dans le Saint-Laurent. On est aussi contre les pipelines. C’est impossible de se débarrasser du pétrole rapidement. On en a encore pour des dizaines d’années, je suis réaliste. Mais on a la responsabilité de se demander quel avenir on veut pour le Québec dans le domaine de l’énergie. Combien de temps voulons-nous encore dépendre du pétrole ? On peut agir dès maintenant. L’avenir du Québec n’est pas dans le pétrole.
Outre le dossier de l’avenir énergétique du Québec, quelles seront vos priorités cet automne ?
Tout ce qui touche les retraites et les aînés. La manière de les traiter devient une question fondamentale. Il y aura une commission parlementaire pour discuter du rapport d’Amour sur l’avenir des régimes de retraite. Il y aura aussi une consultation sur le projet d’assurance autonomie du ministre Réjean Hébert. On est en train d’analyser ça et on va avoir des questions. On n’est pas contre, mais on a des bémols, notamment sur les sommes investies et le libre choix des aînés de rester à la maison ou pas.
L’un des gros sujets de la rentrée sera la charte des valeurs québécoises que proposera le gouvernement. Vous êtes d’accord avec cette initiative ?
C’est ce que j’appelle le « vivre ensemble ». Il y a le dossier de la laïcité et celui de la langue. L’identité au sens large. Je ne comprends toujours pas pourquoi le gouvernement a renommé ça les « valeurs québécoises », alors qu’il est question de laïcité.
Il faut que la nation québécoise se développe autour de valeurs communes. La difficulté, c’est de garder un équilibre entre l’identité collective, comme les valeurs d’égalité, la séparation de l’Église et de l’État et ainsi de suite, tout en respectant les droits individuels, y compris le droit à l’expression religieuse.
Notre position est que les employés de l’État peuvent porter des signes religieux, mais avec certaines balises. On se rallierait assez facilement à l’idée d’interdire le port des signes religieux pour toute personne qui représente l’autorité de l’État, comme les policiers ou les juges. On est également contre le port du niqab et de la burqa pour toutes les employées de l’État qui offrent des services, comme les enseignantes ou les infirmières.
Je suis influencé par Gérard Bouchard, qui a publié L’interculturalisme : un point de vue québécois. Il y a peut-être un ou deux éléments mineurs avec lesquels je suis en désaccord, mais dans l’ensemble, c’est un ouvrage remarquable d’équilibre. Il répète à quel point on doit prendre en compte la majorité qui compose un peuple, qui a une culture et une histoire, et prendre aussi en compte les droits des minorités. La majorité ne doit pas devenir tyrannique.
Il va y avoir des débats délicats, comme permettre ou interdire le hidjab pour les enseignantes ?
C’est permis actuellement et ça ne semble pas soulever de problème majeur dans les classes. C’est le cas aussi des infirmières et personne ne m’a écrit ou téléphoné pour se plaindre. Dans l’équilibre, il faut s’assurer que les femmes croyantes ne restent pas à la maison parce qu’elles sont ostracisées sur le marché du travail. Quand on exclut, on ne peut pas intégrer. Évidemment, il y a des pas à ne pas franchir, comme permettre la burqa aux fonctionnaires qui donne des services. On ne peut pas aller jusque-là.
Est-il possible d’avoir un débat serein ? On l’a vu avec le port du turban sur les terrains de soccer, la controverse n’est jamais loin…
Il y a danger à l’horizon, certainement. Il faudra être prudent. On pourrait penser que c’est simple, mais ce ne l’est pas. Il est facile de dire que les minorités n’ont qu’à se conformer à l’opinion de la majorité, point barre. Mais dans l’application, il y a des nuances.
Avez-vous peur que le gouvernement soit tenté de se servir de ce débat pour remonter dans les intentions de vote ?
Je suis un peu inquiète. Est-ce que ça prendrait des saveurs populistes, autant qu’avec Mario Dumont à l’ADQ ? J’ose croire que non. Je ne vois pas très bien Mme Marois dans ce rôle-là. Mais c’est tellement facile de déraper tous autant qu’on est. C’est rempli d’émotions. Ce ne sont pas des dossiers totalement rationnels, il faut l’admettre. Je fais appel à ce qu’on a de meilleur au Québec, et je dis : « On est appelé à vivre ensemble, il faut s’entendre sur des valeurs communes, mais rester ouvert à la différence, c’est important. »
La commission Charbonneau aura-t-elle des répercussions sur la dynamique politique ? Il est fort possible que les audiences abordent le volet provincial cet automne.
Elles peuvent être considérables. Je rappelle que Québec Solidaire existe depuis sept ans et demi, et qu’on n’a jamais été montré du doigt par la commission Charbonneau, le DGE ou l’UPAC. On n’a pas fait de financement sectoriel [auprès de certaines industries] comme les autres, par choix. Si les trois autres partis sont interpellés par la commission Charbonneau, les gens verront qu’il n’y a qu’un parti que cette gangrène n’a jamais atteint. On pourrait dire que c’est évident, parce qu’on n’a jamais été près de gouverner, mais ce n’est pas la vraie raison. La vraie raison, c’est qu’on ne voulait pas faire de financement sectoriel, personne n’a même imaginé ça. On voulait faire du vrai financement populaire. Au cours de l’automne, Amir et moi allons faire de nouvelles propositions pour l’assainissement des mœurs politiques au Québec. Il y a eu de bonnes choses de faites dans les derniers mois, mais on peut faire encore mieux, notamment du côté du lobbying. Il y a un lobbying intense autour des partis politiques et ça manque beaucoup de transparence.
Voyez-vous l’automne comme un échauffement préélectoral ? Plusieurs s’attendent à des élections au printemps, autour du budget…
Tous les partis vont y penser. On se prépare en conséquence. Mais pour déclencher une campagne, la CAQ et le PLQ doivent avoir un intérêt à le faire au même moment. Est-ce que ça va se produire, alors que souvent, on voit que le PLQ est haut dans les sondages lorsque la CAQ est plus faible, et vice-versa. Si ça arrive, on sera prêt. Notre plate-forme est adoptée, on a commencé les investitures, notre comité électoral est formé.
Est-ce qu’une entente électorale entre forces souverainistes est possible avant les prochaines élections ?
Non. On a eu un congrès en mai, et nos délégués, même s’ils étaient divisés, ont finalement rejeté cette idée. Nos militants sont trop déçus du PQ et de sa façon de gouverner. Si Marois avait défendu des positions de centre gauche, comme lors de la campagne électorale, on aurait peut-être eu un autre résultat. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé. J’étais favorable à laisser la porte entrouverte, avec des conditions strictes, mais je me suis ralliée au refus des militants, parce que je les comprends.
Et un rapprochement avec Option nationale, est-ce plus plausible ?
Une proposition au congrès d’Option nationale pour faire de la lutte contre la pauvreté une priorité nationale a été battue. Ç’a touché beaucoup de monde chez nous. Il y a de la déception aussi face à ce parti. Mais il y a une ouverture à discuter entre militants des partis. Des assemblées conjointes QS et ON ont eu lieu dans certaines circonscriptions. Il faudra voir ce qui va arriver à la direction d’ON avant toute chose. On verra ce que l’avenir nous réserve.
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