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Le sujet du remboursement au trésor public par les entreprises ayant trempé pendant des années dans la collusion et la corruption est fortement dans l’air du temps.
Alors que Maurice Duplessis criait au fédéral son fameux «rendez-vous notre butin!», aujourd’hui, des contribuables floués et les partis politiques lancent en choeur aux dites entreprises un retentissant «remboursez-nous!».
Les montants totaux en jeu pouvant aller dans les centaines de millions de dollars et possiblement le milliard et plus, on parle ici de détournements massifs et orchestrés de fonds publics. Y compris par le crime organisé.
On ne badine pas avec un tel sujet.
Face à une opinion publique dégoûtée avec raison et en concurrence en vue d’une élection générale pouvant venir d’ici moins d’un an, les partis politiques rivalisent d’exigences en la matière.
Or, malheureusement, la frontière entre une prise essentielle de responsabilité et la tentation de démagogie est parfois mince. Car si les contribuables sont tout à fait en droit de s’attendre à une réparation financière substantielle pour toutes ces années de vol, le diable risque en même temps de se cacher dans les détails.
Alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) continue d’exiger du gouvernement Marois qu’il fasse tout en son pouvoir pour obtenir ces remboursements, ce dernier invite les firmes concernées à faire leur propre évaluation des sommes détournées pendant qu’en même temps, il fera la sienne. On parle non seulement des firmes d’ingénirie concernées, mais aussi des entreprises en construction qui seraient trouvées fautives.
Comment toutefois évaluer ce qu’aura coûté en dollars publics toutes ces pratiques maintenant connues de collusion, de corruption et de financement illégal des partis? Quelle période sera couverte? Quelles firmes auront les moyens de tout rembourser sans faire elles-mêmes faillite?
Cette semaine, le ministre responsable de la métropole, Jean-François Lisée, excluait d’office toute «amnistie» possible des firmes fautives. Or, amnistie et remboursement ne sont pas incompatibles – la première découlant habituellement du second.
De son côté, l’Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) n’a plus le choix. Elle doit maintenant plancher sur divers scénarios de remboursement. Face à des sommes possiblement astronomiques, l’AICQ cherche en même temps une forme ou autre de porte de sortie de nature non financière. Or, le «travail communautaire» d’ingénieurs serait-il une compensation satisfaisante dans les circonstances? Il y a fortement lieu d’en douter…
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Bref, rien ne sera simple dans ce dossier. Il est d’une grande complexité. Le gouvernement minoritaire de Pauline Marois veut aussi s’assurer de montrer «quelque chose» de plus tangible aux Québécois d’ici la prochaine élection.
Ce qui nous amène à notre citation de la semaine, courtoisie du président du Conseil du trésor, Stéphane Bédard :
«Ce que les Québécois veulent, c’est que justice soit faite. Et ce sera fait.»
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Et les partis politiques?
L’intention est bien entendu louable et nécessaire, mais tout dépend ici de ce que l’on entend par «justice»…
En 2015, la commission Charbonneau doit accoucher d’un rapport final. On peut s’attendre, j’ose croire, à ce qu’elle y fasse des recommandations extrêmement précises quant aux processus d’octroi de contrats publics et le financement des partis. S’ils ont été passablement resserrés, l’impossibilité absolue de pratiques collusoires ou de corruption est encore loin d’être garantie.
En attendant 2015, si «justice» doit être faite et l’être avec sérieux, dans la mesure où on exigera des remboursements complets ou partiels des firmes fautives, il faudra également se tourner vers les partis politiques eux-mêmes.
De nombeux témoins l’ont dit et redit à la commission Charbonneau : au cœur même de ce «système» de collusion et de corruption se trouve le financement politique des partis. Soit pour obtenir des contrats publics, soit par espoir réel ou vain d’en avoir ou encore, soit par reconnaissance d’en avoir eus, des firmes d’ingénierie et des entreprises en construction ont souvent surfacturé le trésor public pour les aider à contribuer aux partis de même qu’offrir des «cadeaux» à certains élus et hauts-fonctionnaires. Et, dans certains cas, pour payer son «pizzo» à la mafia.
Comme on disait à l’époque de Duplessis : ceux qui donnent beaucoup aux partis reçoivent beaucoup et ceux qui donnent peu, reçoivent peu.
Ou, comme le résumait si bien un des témoins de la commission Charbonneau : «Si vous êtes bons avec le politique, le politique va être bon avec vous.»
Or, si comme le dit le président du Conseil du trésor, «la ligne directrice demeure la probité» en ce qui concerne ces remboursements possibles par les firmes fautives, comment ne pas inclure les partis politiques dans ce même processus «colossal» d’analyse?
Le financement «occulte» de plusieurs partis n’est pas une lubie. La commission Charbonneau et de nombreuses enquêtes journalistiques en ont fait largement la démonstration. Dans ce cas, force est d’inclure dans le calcul les montants reçus illégalement par certains partis pendant la même période.
Que les sommes «données» ainsi par des firmes en contravention de la loi leur aient ou non permis d’obtenir tel ou tel contrat n’a guère d’importance. Lorsqu’une firme contribue illégalement à un parti par le biais de prête-noms, de «cadeaux» ou d’enveloppes brunes, elle le fait nécessairement en lien avec un contrat public, souhaité ou obtenu.
Bref, peut-il y avoir ici des remboursements à géométrie variable?
Québec solidaire propose d’ailleurs que le Directeur général des élections puisse «récupérer toute contribution contrevenant à la loi électorale dans un délai de 15 ans, soit la période couverte par la Commission Charbonneau» :
«Aujourd’hui, ces partis (PLQ et PQ) refusent encore de s’engager à rembourser tous les dons illégaux recueillis depuis 15 ans. Ils veulent limiter leur responsabilité aux cinq dernières années. Leurs dirigeants continuent à nier toute connaissance de ces pratiques.»
En juin 2006, le rapport Moisan – commandé sous le gouvernement Charest -, faisait pourtant état d’un cas documenté. Soit la réception au Parti québécois de 96 400$ de la firme Groupaction – une des firmes les plus actives dans le scandale fédéral des commandites -, par le biais de l’usage illégal de prête-noms. Le même rapport concluait aussi que «le parti connaissait cette situation et il fermait les yeux».
Après avoir nié la chose, le chef péquiste de l’époque, André Boisclair, avait accepté de rembourser cette somme.
Selon les témoignages à la commission Charbonneau, le PQ ne serait pourtant pas le seul à avoir profité à des degrés divers de l’apport de ce système généralisé de prête-noms. Loin s’en faut. Sans compter, il va sans dire, les partis municipaux.
Bref, force ici est de constater l’énorme difficulté – mathématique, financière et politique -, que représente ce projet de faire «rembourser» les filous. D’autant que le financement occulte des partis politiques en était souvent le principal ressort.
Ce qui ne rend pas la chose impossible ou non souhaitable pour autant. Au contraire. Il doit y avoir une forme ou autre de compensation pour les contribuables floués. Le mieux étant parfois l’ennemi du bien, si «remboursements» au trésor public il doit y avoir, il devront être calculés et répartis de manière aussi réaliste qu’équitable. Ce qui veut dire qu’ils devront toucher tous les acteurs concernés – y compris les partis politiques -, sans pour autant «tuer» des entreprises viables.
Réparer le passé est une chose importante tout comme doit l’être à l’avenir la multiplication des obstacles concrets à la collusion, la corruption, les dépassements de coûts injustifiés, l’influence du crime organisé et le financement illégal des partis.
Les sommes étant fort importantes, rembourser les contribuables, même en partie, est un geste de réparation essentiel. Y compris par les partis politiques fautifs. Les formules possibles sont d’ailleurs nombreuses.
Vous avez sûrement vos propres suggestions à formuler. Si oui, je vous invite à les faire ici.
Si, toutefois, ce processus devait finir essentiellement en ballon préélectoral pour les partis – soit pour se disculper eux-mêmes ou se présenter aux élections en uniforme populaire de Monsieur Net -, «justice» ne pourra être faite entièrement dans ce dossier.
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Sur ce, vous me permettrez de prendre quelques semaines de repos. Je vous reviendrai au mois d’août sur ce blogue et le ferai avec grand plaisir. Un très bel et doux été à vous toutes et vous tous!
L’automne politique promet d’être particulièrement chaud. Autant au Québec qu’à Ottawa. Sans oublier les élections municipales du 3 novembre…
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