Une majorité de sénateurs, dont de nombreux conservateurs, ont tenu tête au gouvernement Harper et modifié en profondeur le projet de loi d’un député imposant aux syndicats de nouvelles règles de transparence.
Le projet C-377 exigeait, entre autres choses, que tous les syndicats, grands et petits, dévoilent publiquement toutes leurs dépenses de 5000 $ et plus et les noms et coordonnées de toutes les personnes recevant un salaire de plus de 100 000 $. Selon le député conservateur Russ Hiebert, qui parraine le projet, les syndicats doivent aux contribuables cette transparence puisqu’ils bénéficient d’avantages fiscaux importants.
Le gouvernement Harper a donné son appui au projet original, imposant du même coup, bien que de façon informelle, la ligne de parti. Cela s’est ressenti en Chambre et en comité où le projet a été étudié à toute vapeur et où tous les amendements suggérés par les témoins ont été rejetés.
Car beaucoup de groupes ont protesté, et pas seulement les syndicats. L’Association du Barreau canadien, la commissaire à la vie privée, des comptables, des représentants des provinces et j’en passe ont mis en doute la constitutionnalité et la nécessité de la loi, se sont interrogés sur la protection de la vie privée des employés des syndicats ou se sont inquiétés du fardeau administratif et financier que ces mesures représenteraient pour les petits syndicats et Revenu Canada.
Le Sénat a, comme l’exige la constitution, fait sa propre étude et son comité a entendu une quarantaine de témoins. Contrairement au comité des Communes, il a retenu plusieurs de leurs objections et des amendements, pilotés par des sénateurs libéral et conservateur, ont été adoptés cet après-midi (26 juin).
Seize conservateurs les ont appuyés et six autres se sont officiellement abstenus. Le projet amendé a été adopté par un vote de 48 voix pour et 35 voix contre. Il doit maintenant retourner aux Communes où les députés devront décider s’ils acceptent les modifications proposées. Cela devra attendre l’automne et pourrait créer des remous. Car s’il y a impasse, le Sénat, dépourvu de légitimité démocratique, pourra difficilement rester sur ses positions et rejeter à nouveau l’avis de la majorité des élus.
Il sera intéressant de voir comment le gouvernement réagira aux amendements apportés. Ces derniers limitent la portée de la loi aux syndicats comptant 50 000 membres ou plus, portent le seuil des dépenses déclarées à 150 000 $ et celui des salaires, à 444 661 $.
Ce changement fait écho à celui apporté par le gouvernement au projet de loi du député Brent Rathgeber portant sur les salaires des hauts fonctionnaires, conseillers politiques et autres employés d’organismes et entreprises publiques. Il prévoyait que tous les salaires supérieurs à 188 000 $ soient divulgués publiquement. Le gouvernement a haussé ce seuil à 444 661 $, le salaire maximal d’un sous-ministre. La manœuvre du gouvernement, destinée à protéger une partie de son personnel politique, a choqué le député qui a quitté le caucus conservateur.
Il est désolant qu’il ait fallu des sénateurs non élus pour procéder à une étude un peu plus consciencieuse du C-377 durant laquelle les témoins n’ont pas seulement paradé en comité, mais y ont été écoutés. On peut débattre de la valeur de certains amendements, mais on aurait préféré que ce soit les élus qui peaufinent le projet et respectent l’opinion des témoins. Mais sous ce gouvernement, les comités sont devenus le miroir de la Chambre des communes. La partisannerie est reine et les témoins, des faire-valoir.
Cela n’était pas la norme auparavant. Au contraire. La majorité des projets de loi étaient amendés en comité et ce, peu importe la couleur du parti au pouvoir. Les comités étaient le lieu où l’esprit partisan cédait la place au travail de législateur.
Il y a environ deux ans, j’ai fait un relevé pour le Devoir des projets de loi ayant traversé l’étape du comité sous les gouvernements majoritaires de Jean Chrétien et de Paul Martin. Lors de la première session du gouvernement Chrétien, un peu plus de 50 % des projets avaient été modifiés à cette étape. Durant toutes les sessions suivantes, c’était plus de 60 % d’entre eux. Depuis l’élection des conservateurs en 2006, c’est rarissime.
Autre fait à noter, aucun député conservateur et encore moins le gouvernement Harper n’ont proposé d’imposer les mêmes règles aux partis politiques qui profitent largement des fonds publics par le biais de crédits d’impôts et du remboursement d’une partie de leurs dépenses électorales.
Non seulement ils n’envisagent pas se soumettre au même régime que les syndicats, mais ils n’ont toujours pas présenté les amendements à la loi électorale demandés par le directeur général des élections Marc Mayrand. Ce dernier veut plus de pouvoirs pour vérifier les dépenses électorales des partis. Actuellement, il n’a pas accès aux pièces justificatives des campagnes nationales.
M. Mayrand a aussi proposé des changements pour éviter que l’arnaque des appels frauduleux survenus en 2011 ne se reproduise pas en 2015. Selon un jugement de la Cour fédéral rendu en juin, il y a bien eu «fraude» à grande échelle. Le juge Richard Mosley n’a pu identifier les responsables, mais a écrit que la source probable de l’information nécessaire à ces appels était la banque de données sur les électeurs du Parti conservateur.
Les conservateurs avaient promis de présenter les modifications souhaitées en septembre 2012, mais on les attend encore même si le temps presse. M. Mayrand a déclaré devant un comité parlementaire en juin que ces changements devaient être en vigueur dès le printemps 2014 pour qu’il ait le temps de mettre la machinerie en place.
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