
Photo: Jacques Boissinot / La Presse Canadienne.
Avec le départ de Jean-Martin Aussant, la scène politique perd le pédagogue de l’option souverainiste le plus prometteur de sa génération.
En quittant d’un trait la chefferie d’Option (ON), il laisse aussi derrière lui de nombreux orphelins politiques pour qui la promesse d’un nouveau chapitre se ferme brutalement.
Sur sa page Facebook, un message parmi plusieurs résumait le sentiment dominant chez ces derniers: «Les deux bras viennent de me tomber. Je suis sous le choc. Je salue le choix, tout en étant inquiète des conséquences. Bravo à un homme qui assume l’importance de la famille! Mais quelle tristesse de perdre, au moins pour quelques années, celui qui était le moteur et la motivation de beaucoup d’entre nous, le plus allumé de tous les chefs!».
Dans son entourage, certains se disaient carrément catastrophés.
À 43 ans, Jean-Martin Aussant dit avoir constaté ne plus pouvoir mener de front ses «deux chantiers» – sa famille et la politique active. Or, pour les 8 000 membres de son parti et tous ceux qui voyaient en lui le «prochain» Jacques Parizeau, c’est une véritable onde de choc.
Fondé tout juste en février 2012 et hormis son membership en croissance constante, Option nationale comptait pourtant déjà sur quelques appuis de taille. En commençant par l’ex-premier ministre et ex-chef péquiste, Jacques Parizeau. Cet appui était lourd de sens. Autant pour ON que pour la direction du PQ, dont M. Parizeau est terriblement déçu.
Comme je le rapportais ici en mars dernier, au premier congrès d’ON, M. Parizeau disait même souhaiter voir ce nouveau parti devenir le «levain dans la pâte» du mouvement souverainiste. Sa confiance en Jean-Martin Aussant était absolue. Tout comme l’espoir qu’il fondait sur son enthousiasme, de même que sur la clarté et la modernité de son discours. Certains dans la salle se disaient même qu’un Pierre Bourgault aurait sûrement, lui aussi, noté ses talents.
Option nationale ne déborde pas aujourd’hui de militants «jeunes» pour rien…
En effet, il y avait à ce congrès plus de mille membres dont la vaste majorité était composée de jeunes militants éduqués et provenant de milieux professionnels variés. Ce qui avait considérablement ravi l’ancien premier ministre.
À l’annonce de la démission de M. Aussant, Lisette Lapointe – ex-députée démissionnaire du PQ, militante active d’ON et épouse de M. Parizeau -, exprimait sa propre consternation en ces termes: «Cher Jean-Martin, Ce n’est qu’un au revoir! « Nous nous reverrons, la cause est trop importante. Bon courage et bon vent.»
Or, cette même formule reprise par Jean-Martin Aussant en conclusion de sa lettre ouverte aux membres d’ON – «ce n’est qu’un au revoir pour la suite des choses» -, risque surtout de fragiliser grandement ce jeune parti.
Les cimetières ont beau être remplis de gens irremplaçables, lorsqu’un parti perd son chef-fondateur aussi rapidement, la traversée du désert peut se faire longue et parfois, fatale. Option nationale est en effet la création et la créature de Jean-Martin Aussant.
Ses proches – même s’ils sont surpris de son départ -, savent néanmoins à quel point les circonstances personnelles et familiales dont il a parlées sont réelles – et non pas le prétexte classique qu’on entend trop souvent en politique pour justifier une démission. Elles aident aussi à expliquer sa visibilité réduite depuis le congrès d’ON.
Quiconque visionne son point de presse est également à même de constater que l’homme ne quitte pas son parti de gaieté de cœur. Ceux qui, sans connaître ses circonstances personnelles, épiloguaient néanmoins aujourd’hui sur un présumé manque de résistance chez Aussant, auraient mieux fait de se garder une petite gêne sur ce point.
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Un succès étonnant
Auprès de ses membres, la popularité et le pouvoir d’attraction politique de Jean-Martin Aussant étaient immenses. Sans cela, il n’aurait jamais réussi à convaincre 120 candidats de se présenter pour ce tout jeune parti à la dernière élection. Sans ce pouvoir d’attraction sur le plan des idées et de la communication, le recrutement d’un Jacques Parizeau eût été tout aussi impensable. Tout comme celui de 8 000 membres ou la tenue d’un premier congrès dont tous les observateurs ont souligné le succès étonnant.
C’est pourquoi sa ou son successeur devra être également une personnalité forte aux talents de communicateur aguerri et aux idées claires. L’adhésion des moins de 45 ans et la survie de ce parti l’exigent.
Sinon, ON peinera à tenir le coup en attendant – pour reprendre les mots de son chef sortant – que sa «situation familiale soit plus propice à un engagement aussi intense et entier que celui de faire de la politique active».
Cette attente est d’autant plus risquée pour ON que la prochaine élection générale pourrait avoir lieu dès le printemps prochain. Bref, le «timing» de la démission de son chef, aussi involontaire soit-il, tombe au pire moment possible pour ses troupes.
Après la démission toute récente du président de Convergence nationale, Jocelyn Desjardins, de même que la quasi implosion de ce mouvement cherchant en vain à rapprocher ON, Québec solidaire et le Parti québécois d’ici les prochaines élections, le départ de Jean-Martin Aussant est une fissure de plus parmi tant d’autres dans le mouvement souverainiste. Et pas n’importe laquelle.
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La souveraineté n’a rien d’inéluctable
Pour le mouvement souverainiste, en l’absence depuis le dernier référendum du seul élément capable de le cimenter – un engagement clair du PQ à tenter de réaliser son option s’il forme un gouvernement majoritaire -, les fissures ne cessent en effet de s’y accumuler.
Sur son fil twitter, qualifiant de «timides» les «convictions indépendantistes» de la première ministre, Jocelyn Desjardins disait regretter le départ de M. Aussant. «Sa présence dans le paysage indépendantiste», écrivait-il, «me rassurait en quelque sorte».
Dans sa lettre ouverte, M. Aussant envoyait quant à lui ce «message aux souverainistes» :
«Continuez, vous avez raison. La souveraineté est incontournable et nécessaire et le destin naturel de la nation québécoise est de pouvoir décider elle-même de ce qu’elle devient et de comment y arriver. Lois, impôts, traités, voilà ce que toutes les nations du monde devraient pouvoir contrôler elles-mêmes.»
On comprend qu’un chef veuille chercher à consolider l’espoir chez ses troupes au moment de son départ. La réalité des choses, par contre, est qu’à l’instar de son appartenance au Canada, la souveraineté du Québec n’a rien d’«incontournable» ou d’inéluctable.
Les peuples n’ont aucun «destin naturel» sur cette terre. Ce sont encore les hommes et les femmes qui font l’histoire. Ils la font d’autant mieux quand ils ont la chance d’avoir un leadership politique à la hauteur des circonstances qui se présentent à lui. Le Québec ne fait pas exception à cette règle.
C’est pourquoi le départ d’un Jean-Martin Aussant sera reçu par plusieurs comme un appauvrissement évident d’un mouvement souverainiste déjà fragilisé depuis plus de quinze ans.
Si les Bernard Drainville, Véronique Hivon et Pierre Duchesne – entre autres membres de la relève péquiste -, sont aussi des gens de conviction, sans un leadership plus déterminé sur cette question centrale, à l’instar de leurs collègues, leurs énergies vont inévitablement à une «gouvernance» qui prend toute la place. Parfois pour le meilleur et trop souvent, pour le pire.
Quant à Jean-Martin Aussant, comme d’autres avant lui, et non les moindres – dont un certain Pierre Bourgault -, le fait est qu’il n’aura pu trouver sa juste place au PQ. Quelqu’un, quelque part, y serait sage de se demander pourquoi.
En quittant le Parti québécois en juin 2011, Jean-Martin Aussant rappelait que sa seule raison de faire de la politique étant la souveraineté. Or, son constat à l’effet que les choses étaient «mal alignées pour la faire» au PQ, était précisément ce qui l’amenait à quitter le caucus et à fonder Option nationale. Deux ans plus tard, son constat tient encore.
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Le renouvellement de la classe politique en sort perdant
Sur twitter, suivant l’annonce du retour de Jean-Martin Aussant à la sphère privée, certains de ses anciens collègues ont salué sa passion et sa détermination. Même si elle doit espérer en récolter des dividendes à terme – ce qui est loin d’être chose sûre -, Mme Marois le faisait également lors d’un bref et prudent point de presse en après-midi.
Le chef de la CAQ et ex-ministre péquiste, François Legault, lui levait aussi son chapeau : «Bonne chance Jean-Martin! Tu as fait preuve de cohérence. La souveraineté est la priorité…ou non…».
Pour Québec solidaire, Françoise David saluait son «travail politique», «son intelligence et l’espoir qu’il a suscité auprès de plusieurs souverainistes».
Même le Parti vert lui souhaitait la «meilleure des chances pour la suite» et ajoutait ceci :
«Vous avez redonné le goût de la politique à bien des gens. Pour ça BRAVO!»
Les prochains mois sauront dire si ce goût tiendra ou non le coup sans le leadership de celui qui, pour plusieurs, en aura provoqué l’éveil. Sans un successeur fort, la chose est nettement moins probable.
Et si jamais ON ne tient pas le coup d’ici la prochaine élection, où iraient alors les orphelins politiques de Jean-Martin Aussant? Combien voteraient pour Québec solidaire? Combien iraient au PQ? Et combien choisiraient simplement d’annuler leur vote?
De manière plus large, ce départ soulève une autre question – celle d’un renouvellement de la classe politique qui, au Québec, se fait lent et difficile.
À quelques exceptions près, l’impression est plutôt celle d’une classe politique qui, aux paliers provincial et municipal, se coopte de plus en plus entre elle. Quitte même parfois à jouer à la chaise musicale d’un parti à l’autre… ou d’un palier à l’autre.
Bien des Québécois ont pourtant hâte qu’il y entre nettement plus d’air frais et d’idées fortes. Pour plusieurs, Jean-Martin Aussant en faisait partie.
L’avenir dira si, comme il le dit à ses troupes, c’est en effet partie remise. En attendant, le temps court pour l’option souverainiste.
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Pour visionner la vidéo de l’annonce de Jean-Martin Aussant, c’est ici.
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