
Enterrement de Nicolo Rizzuto Sr., en novembre 2010 (Photo : Robert Smith / CC BY-NC-SA 2.0)
Vito Rizzuto est-il redevenu le parrain de la mafia montréalaise ? À le voir pratiquer son swing sur les verts du club de golf privé Le Blainvillier et serrer des mains dans la Petite-Italie, on jurerait qu’il parade. Mais il doit faire face à un ennemi de taille : la commission Charbonneau, véritable cours 101 sur la mafia.
Antonio Nicaso, auteur de 20 livres sur la mafia, dont Les liens du sang et Trafic de drogue (Éd. de l’Homme), explique les obstacles que rencontre Vito Rizzuto et accuse le gouvernement canadien de négliger la lutte contre le crime organisé. L’actualité l’a joint à son bureau, en Ontario.
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Le retour de Vito Rizzuto semble coïncider avec une recrudescence de la violence au Québec. Qu’en est-il exactement ?
Quand il y a un trône à prendre, la violence s’accroît. Le problème pour les policiers est d’arriver à déterminer quelles sont les personnes qui figurent dans chaque camp, car durant les luttes de pouvoir, les alliances se forgent et se brisent constamment. Jusqu’à récemment, les cadavres ne s’empilaient que du côté du clan de Vito Rizzuto, mais cela ne semble plus être le cas aujourd’hui.
Rizzuto a compris le message de ceux qui ne souhaitaient pas son retour, mais il est tout de même revenu avec l’intention de reprendre le pouvoir. Après les assassinats de son père et de son fils, Nicolo Sr et Nicolo Jr, ainsi que celui, probable, de son beau-frère, Paolo Renda [enlevé, il n’a jamais été retrouvé], la paix n’est pas pour lui une option envisageable.
Pendant que Vito Rizzuto était derrière les barreaux, personne n’a réussi à prendre le flambeau ?
La remise en cause du clan Rizzuto a été orchestrée par des vieux ennemis et des nouveaux rivaux. Les premiers ont profité de la faiblesse du clan Rizzuto, dont le chef purgeait une peine aux États-Unis, pour régler certains conflits, alors que les derniers ont tenté de s’immiscer sur leur territoire car ils voulaient leur part du gâteau.
Ces meurtres montrent un changement fondamental dans la nature et la structure du crime organisé au Québec. Alors qu’il y avait auparavant une seule puissance dominante, il y a aujourd’hui plusieurs groupes criminels de même calibre.
Vito Rizzuto peut-il s’adapter ?
Si le clan Rizzuto est aussi faible aujourd’hui, c’est parce que ses connexions avec le monde de la politique et de la finance ont été exposées à la vue de tous. Il peut tenter de reprendre le contrôle de son territoire et venger la perte de membres de sa famille, mais il fera face à de grosses embûches s’il souhaite restaurer ses liens avec les politiciens et les hommes d’affaires. Tout ceci doit être mis à l’actif de la commission Charbonneau.
La commission Charbonneau lui a donc causé énormément de tort ?
La commission Charbonneau est un véritable cours 101 pour ceux qui ne sont pas familiers avec la mafia. Grâce à elle, les Québécois et les Canadiens portent plus d’attention à la corruption. Le fait d’avoir vu des politiciens partager l’argent des contribuables avec des mafieux et des entrepreneurs sans scrupules leur a fait prendre conscience que tout le monde est concerné par le crime organisé.
La commission Charbonneau a aussi montré que de nombreuses preuves avaient été accumulées au fil des années contre des politiciens et des entrepreneurs…
Il est intrigant qu’il ait fallu qu’un juge force la Gendarmerie royale du Canada à lui remettre des vidéos et des documents glanés lors de l’opération Colisée pour que l’on en apprenne plus sur la corruption du monde politique. Sans la commission Charbonneau, la population n’aurait jamais su que des entrepreneurs redistribuaient l’argent public parmi les têtes dirigeantes du clan Rizzuto, au café Cosenza. Pourtant, la preuve existait. Pourquoi n’ont-ils rien fait ? Pourquoi a-t-on dû attendre si longtemps ? Les mêmes noms d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires qui sont aujourd’hui au centre de l’attention médiatique figuraient déjà dans des rapports du service du renseignement de la police et de la Gendarmerie royale datant des années 1990, et notamment en 1991 et 1994. Leurs liens avec la mafia avaient été écrits noir sur blanc à l’époque. Et nous sommes aujourd’hui en 2013…
N’avez-vous pas peur que les recommandations de la commission Charbonneau ne soient pas suivies ?
En Ontario, la Commission royale d’enquête sur certains secteurs de l’industrie de la construction avait mis en lumière les mêmes problèmes en 1974, mais ses recommandations n’avaient pas été suivies. Pourquoi ? Parce que derrière cette commission, il n’y avait pas eu de véritable volonté politique de lutter contre le crime organisé au Canada. Et cela ne semble pas davantage être une priorité nationale aujourd’hui. Ce problème d’ordre politique n’est pas du ressort de la commission Charbonneau, qui, à mes yeux, fait l’éducation des Canadiens.
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