
Stephen Harper et le ministre Christian Paradis, lieutenant de Harper au Québec. (photo: Jacques Boissinot/Presse canadienne)
Les militants conservateurs du Québec en ont ras-le-bol. La grogne qui couvait depuis plusieurs mois commence à éclater au grand jour.
Secoués par les récentes controverses au Sénat, à l’assurance-emploi et les prises de positions difficiles à défendre au Québec, notamment sur le nouveau programme de formation de la main d’oeuvre annoncé dans le dernier budget, et qui empiète dans les champs de compétence des provinces, beaucoup de militants de Harper au Québec se disent assez découragé pour quitter le navire.
Et le sondage Crop-La Presse publié la semaine dernière n’a rien fait pour aider. Le Parti conservateur est crédité de 9 % des intentions de vote au Québec, une chute de 9 points depuis les dernières élections, en 2011. Avec un résultat aussi famélique, il ne resterait aucun député conservateur au Québec après un scrutin (sauf peut-être Maxime Bernier en Beauce…).
Le taux d’insatisfaction envers le gouvernement Harper atteint 72 %.
Quand ça va mal et que les militants ne voient pas de lumière au bout du tunnel, la marmite explose. Même au Parti conservateur, où la discipline est généralement forte. Les langues se délient. Les démissions s’accumulent.
Le prochain congrès du parti, du 27 au 29 juin, à Calgary, pourrait être animé.
Voici certaines récriminations des militants conservateurs du Québec, dans leurs mots.
Mercredi dernier, 7 des 9 administrateurs de l’association de circonscription conservatrice de Joliette ont démissionné. Je reproduis ici la lettre de la présidente sortante, Georgette St-Onge.
Joliette, le 22 mai 2013
Objet: Démission de la présidence de l’Association conservatrice
Bonjour,Par la présente, je vous transmets ma démission à titre de présidente de l’Association conservatrice du comté de Joliette. La raison est simple, c’est que mon exécutif et moi-même, nous mettons du temps bénévolement, mais c’est clair que le Parti Conservateur n’a aucune volonté de réussir à faire élire des députés supplémentaires au Québec.
Voici quelques exemples. Lors de la dernière campagne électorale, le lieutenant politique Christian Paradis n’a fait aucune démarche pour intéresser un candidat sérieux à briguer les suffrages dans notre comté. Lors de la campagne, nous n’avons eu aucune nouvelle de lui.
Depuis la dernière élection, nous avons à peu près jamais eu de nouvelles concernant les politiques conservatrices. Par exemple, au sujet de la réforme de l’assurance emploi, notre association n’a jamais été mise au parfum pour défendre cette réforme qui a été très mal expliquée aux citoyens.
Voilà une autre aberration. Nous voulons recevoir le sénateur Jacques Demers. C’est devenu un festival d’appels, sans que personne ne soit en mesure de fixer une date pour une activité.
Lors de nos réunions, nous n’avons vu le lieutenant Christian Paradis qu’à une seule reprise et visiblement ça ne l’intéressait pas, puisqu’il est resté 20 minutes avec quasiment rien à dire ou à proposer.
J’oubliais votre côté « control freak ». Lorsqu’on organise une activité, on nous interdit de l’annoncer dans les journaux, comme ça a été le cas lorsqu’on a reçu le sénateur Jean-Guy Dagenais. Une autre fois, on avait invité Maxime Bernier à Crabtree où votre permanent Jacques Morand voulait empêcher les journalistes de couvrir l’évènement dont on avait pris la peine d’inviter.
Pour ma démission, ça va être mieux comme ça. Je ne perdrai plus mon temps et mon argent que je donne tout à fait gracieusement.
De toute façon, le Parti Conservateur se dirige encore une fois dans un mur pour la prochaine élection au Québec. Je vous conseille sérieusement de ne plus dépenser un seul dollar au Québec pour l’organisation politique, c’est du pur gaspillage.
Georgette St-onge
Ex-Présidente de l’Association conservatrice Joliette
Selon nos informations, d’autres démissions dans les associations de circonscriptions pourraient suivre. Certains estiment que Christian Paradis, lieutenant pour le Québec, n’est pas à la hauteur, mais plusieurs militants avancent qu’il est un exécutant et que le problème se situe au-dessus de lui: au bureau du chef, notamment avec la directrice des opérations politiques, Jenni Byrne, qui ne parle pas français et aurait une piètre compréhension du Québec.
Le parti a fermé son bureau permanent à Montréal avant les dernières élections et n’en a pas ouvert un nouveau depuis le scrutin.
Le député Jacques Gourde a plaidé le manque de temps et demandé de la patience aux militants.
Ce matin, dans La Presse, c’était au tour d’une autre militante, ancienne employée du gouvernement Harper, d’écrire son insatisfaction. Emilie Potvin a été chef de cabinet de différents ministres à Ottawa entre 2006 et 2009. Sa lettre, au titre évocateur «Mes valeurs bafouées», peut être lu ici.
Voici un extrait:
Je suis arrivée sur la colline parlementaire en 2006 à la suite de la victoire du Parti conservateur. L’idée de changer les choses à Ottawa, de s’éloigner des scandales et de rétablir l’intégrité du gouvernement fédéral animait les nouveaux élus ainsi que le personnel politique qui avait décidé de les suivre dans cette nouvelle aventure.
Après 13 ans sur les bancs d’opposition, nous voulions ramener les idées et les principes de responsabilité financière, de meilleure gestion des dépenses publiques et de transparence. Où sont les principes d’intégrité que nous avions promis défendre bec et ongles? Ce à quoi le parti nous expose depuis quelque temps ne représente pas les valeurs conservatrices. Le parti devrait se rappeler les discours et les promesses de janvier 2006, car nous en sommes loin aujourd’hui – bien trop loin.Les événements des derniers jours ont mis en lumière une culture qui existe depuis bien avant le «Senategate» ou «l’affaire Duffy» – quel que soit le nom qu’on veuille donner au fiasco actuel.
Les exemples d’abus de pouvoir et de non-respect des institutions parlementaires sont nombreux depuis l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper, mais il semble que cette affaire soit celle qui fasse déborder le verre.Le premier ministre est responsable des actions de son gouvernement.
Je suis déçue de le voir se défiler une fois de plus devant des accusations aussi sérieuses. La mentalité paranoïaque et la manie du secret qui caractérisent le gouvernement ont favorisé les comportements déviants auxquels nous sommes exposés aujourd’hui. Encore une fois, ce ne sont pas des valeurs conservatrices.
La transparence est le meilleur remède contre les abus. Ce refus de rendre des comptes me désole. Le ton de mépris envers ceux qui veulent des réponses m’insulte.
Le premier à avoir tiré la sonnette d’alarme sur la grogne grandissante des militants conservateurs au Québec est Peter White, président de l’association de circonscription de Brome-Mississquoi, dans les Cantons-de-l’Est. Un vieux routier de la politique, militant conservateur depuis l’ère de Mulroney.
J’étais allé le voir pendant la dernière campagne électorale, où il dirigeait la campagne de son candidat local, une jeune loup du nom de Nolan Bauerle, 31 ans. J’en avais tiré ce texte dans Le Devoir. White, un anglophone (qui parle un excellent français), a gardé cette franchise qui fait sa réputation.
Il a écrit une lettre publiée par le magazine Maclean’s en janvier 2012. Lire l’intégral de cinq pages ici.
Extrait, dans sa langue d’origine:
To his great credit, Mr. Harper has reached out to Quebec in many ways. The potent symbolism of his recognition that the Québécois form a nation within a united Canada (2006), his settlement of the so-called fiscal imbalance issue (2007), and the fact that he begins every speech in French, both at home and abroad, are much appreciated by Quebecers. But that was then. Except for his continued use of his excellent French, Mr. Harper now seems to have turned his attention elsewhere, seldom visiting Quebec or discussing Quebec issues. Since Laurier’s first election as Liberal leader in 1891, the Conservatives have always been viewed inQuebec as the party of les Anglais.
The only Conservative to consistently sweep Quebec since Macdonald is Brian Mulroney, a native Quebecer (58 seats in 1984 and 63 in 1988).
But no Conservative leader, at least since Diefenbaker, has been seen by Quebecers to be as gratuitously oblivious of them as is Mr. Harper and his current majority government. Previous leaders all appeared at least to be trying their best to be sympathetic and understanding. I live in Quebec’s Eastern Townships. Like most Quebec Conservatives, I cringe every time a federal policy or minister is portrayed in the local media as being flagrantly anti-Quebec. Generally, these incidents do not involve economic issues, nor matters of great national import. Rather they are symbolic sins of commission or omission, of the sort that inflame political passions and emotions, and reconfirm existing prejudices and preconceptions. They are taken as signs that Ottawa simply doesn’t care what Quebecers may think or worse, doesn’t even know, or care to know.
Of the thousand small cuts, I will cite only one of the most egregious. When New Brunswick’s Michael Ferguson, a unilingual anglophone, was nominated as auditor general (an officer of the parliament of Canada, not of the government) minister Vic Toews was caught on camera fleeing the media pack. Over his shoulder he tossed out the party line: «We make appointments based solely on merit.»
Oh, really! What if Mr. Ferguson spoke only Swahili? Or what if (God forbid) he spoke only French, Canada’s « other » official language? Would he now be our auditor general based on « merit »?
What does all this matter? Mr. Harper will likely win another majority, again without Quebec, in 2015. So why should we be concerned at his government’s alienation from and of Quebec?
For two reasons.
Je vous laisse lire la lettre pour découvrir les deux raisons que Peter White avance.
Un passage de cette lettre retient mon attention, plus d’un an après sa publication. Peter White affirme qu’il est fort possible que les conservateurs remportent une autre majorité sans le Québec. Un phénomène impensable il n’y a pas si longtemps, mais qui est devenu réalité en 2011.
Un scénario qui semble plus difficile à reproduire maintenant. La popularité du nouveau chef libéral, Justin Trudeau, notamment en Ontario, va compliquer la vie de Stephen Harper. Et tout dépend des sondages que vous regardez, le NPD maintient un bon appui.
Bref, sans quelques comtés au Québec, l’objectif du Parti conservateur de remporter un gouvernement majoritaire sera plus ardue en 2015.
Il reste plus de deux ans avant les prochaines élections fédérales. Les militants conservateurs du Québec espèrent secouer leur parti à temps pour que les choses changent. Reste à voir si le message sera entendu. Et si la volonté de corriger le tir existe.
…
AJOUT:
Après avoir lu ce billet de blogue, le ministre Christian Paradis m’a écrit et il tient à ajouter ceci: «Le parti a une organisation solide au Québec. Notamment, les rassemblements partisans tenus à ce jour le démontrent bien et ceux à venir continueront à le démontrer d’ici 2015», dit-il.
L’attachée de presse du ministre Paradis, Alexandra Fortier, ajoute que Stephen Harper a récemment fait part de sa volonté «d’avoir plus de représentation québécoise au sein du parti», et qu’il n’a donc pas fait une croix sur le Québec.
À suivre.
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