En politique, on estime souvent que le parti politique qui réussi à incarner le changement possède un atout majeur sur ses adversaires. C’est généralement vrai. Mais depuis deux ans, au Canada, cet avantage semble s’évaporer dans l’urne.
La victoire surprise hier soir de la première ministre libérale sortante en Colombie-Britannique, Christy Clark, en est le plus récent exemple.
À la tête d’un gouvernement usé, miné par les controverses, à la recherche d’un quatrième mandat, Christy Clark a lancé sa campagne avec 20 points de retard sur son adversaire néo-démocrate, Adrien Dix. Les analystes, sondeurs et même ses propres députés ne donnaient pas cher de sa peau. Encore en fin de semaine, les coups de sonde créditaient le NPD de huit points d’avance.
Clark a pourtant décroché un mandat majoritaire hier soir (elle a toutefois perdu son siège à Vancouver et devra tenter de se faire élire ailleurs).
L’histoire semble se répéter à la grandeur du pays depuis 2011. La surprise n’a pas toujours la même ampleur, mais la tendance est lourde.
Au Québec, l’été dernier, la victoire majoritaire du Parti québécois semblait dans la poche au déclenchement de la campagne électorale. Les stratèges du PQ disaient même en privé que c’était «ours to lose», comme disent nos cousins anglophones. Bref, que si le PQ faisait une campagne le moindrement potable, la victoire allait suivre. On connait la suite, le gouvernement Marois est non seulement fortement minoritaire, mais il est passé à quatre sièges de ne jamais exister, alors que le PLQ a fait beaucoup mieux que prévu, notamment chez les francophones, malgré son impopularité.
Fin avril 2012, en Alberta, tout indiquait une victoire du nouveau parti de droite Wildrose Alliance, avec à sa tête la chef Danielle Smith. C’est finalement la dynastie conservatrice (au pouvoir depuis 1971!) qui s’est poursuivi, avec un mandat majoritaire obtenu par Allison Redford.
En Ontario, à l’automne 2011, lors du lancement des hostilités électorales, le conservateur Tim Hudak était largement en tête dans les intentions de vote. C’est finalement le premier ministre libéral sortant Dalton McGuinty qui l’a emporté, décrochant un gouvernement minoritaire.
En octobre 2011, le gouvernement néo-démocrate du Manitoba était dans une lutte serrée pour obtenir un 4e mandat, face à son adversaire progressiste-conservateur. Le premier ministre sortant, Greg Selinger, l’a finalement emporté sans difficulté.
La liste est longue. On aurait pu parler de la Saskatchewan, de Terre-Neuve, de l’île-du-Prince-Édouard…
Malgré la volonté de changement exprimé dans les sondages, autant au fédéral que dans les provinces, tous les gouvernements sortants ont été réélu (sauf au Québec).
Évidemment, chacune des élections a son lot de facteurs régionaux, qui sont impossible à calquer d’une province à l’autre: la popularité d’un ou une chef, la qualité de la campagne électorale, la force ou la faiblesse de l’équipe, etc.
Et si certains sondeurs ont leur part de blâme pour avoir mal photographié les intentions de vote — il y a beaucoup de nouveaux sondeurs dans le marché, parfois à la crédibilité vacillante. Sans compter les difficultés de l’industrie à rejoindre des échantillons représentatifs — il y a beaucoup plus à comprendre.
Il y a une tendance de fond à l’oeuvre.
La stabilité a pris le pas sur le désir de changement. Les partis d’opposition, tous paliers politiques confondus, doivent en prendre note.
Voici quelques pistes de réflexions:
- Les citoyens prennent leur décision de plus en plus tard dans le processus électoral, ce qui peut fausser les sondages à la ligne d’arrivée. Lors de la campagne au Québec en 2012, 10 % des gens ont pris leur décision dans l’isoloir, alors que 35 % l’ont fait dans les derniers jours, selon Jean-Marc Léger (voir texte dans Le Devoir en septembre dernier). C’est beaucoup. Ça témoigne de la volatilité de l’électorat. Le nombre d’indécis est élevé, même en fin de campagne.
- Le pays traverse une période d’incertitude économique, ce qui accentue l’hésitation des citoyens envers un changement de gouvernement. L’instabilité n’est pas à l’honneur. La crédibilité économique d’un parti politique pèse aussi plus lourd dans l’équation qu’en période de prospérité.
- On sous-estime souvent les facteurs socio-démographiques dans le comportement électoral des citoyens. Or, le Canada (et le Québec) est une société qui vieillit. Et qui est plus réfractaire au changement. Une société qui prend de l’âge est aussi plus susceptible de pencher vers la droite, d’être plus conservatrice. Ce n’est pas une formule absolue, mais de nombreuses études de comportement électoral tendent en ce sens. Les jeunes votent beaucoup moins que leurs ainés, ce qui accentue le déséquilibre.
- Le cynisme de la population atteint un tel niveau qu’il est plus difficile de se démarquer pour les chefs des partis qui ne sont pas au pouvoir. «Tous pourris», «tous corrompus», «tous pareils». Ce sont des phrases qu’on entend souvent. Au Québec, une expression dit «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras». Les anglos disent «stay with the devil you know». Si les politiciens sont tous pareils, interchangeables, alors pourquoi changer? L’électeur a tendance à rester plus facilement avec celui qu’il connait, même s’il ne l’aime pas. De toutes manières, il ne fait pas davantage confiance à l’autre parti.
- Le citoyen se déresponsabilise face à la politique, préférant retraiter dans sa tanière plutôt que de prendre la situation en main. Mis à part des sursauts comme le printemps étudiant, la politique attire de moins en moins l’attention. Et ce, malgré la diversité de l’information et la facilité avec laquelle on peut y accéder, avec un clic de souris. Peu de gens prennent la peine de lire les programmes, de se rendre à une assemblée publique, de se demander ce qu’ils veulent vraiment dans cette élection, de lire les dossiers plus étoffés dans les journaux ou les magazines, etc. On juge à la tête du candidat, aux clips de 5-10 secondes, aux pubs négatives… Le taux de participation en souffre. Et il offre un avantage aux gouvernements sortants.
Viendra un moment où le balancier retournera du côté du changement. Mais pour l’instant, force est de constater que depuis deux ans, c’est «avantage stabilité» d’un bout à l’autre du pays.
Cet article Élections: la résistance au changement est apparu en premier sur L'actualité.
Consultez la source sur Lactualite.com: Élections la résistance au changement