J’ai en ma possession un livre précieux et rare intitulé Montréal Économique. Il s’agit de l’étude préparée en 1943 à l’occasion du troisième centenaire de la métropole sous la direction de Esdras Minville, un économiste célèbre en son époque et qui dirigeait alors l’École des Hautes Études commerciales de Montréal.
Un chapitre est particulièrement fascinant et son actualité est troublante. Il est écrit par Honoré Parent, un avocat qui a été une figure centrale de l’administration montréalaise entre 1930 et 1944. Il a été notamment le directeur des Services, pensons au directeur-général actuel de la ville, et le directeur du Service des Finances. Dans un texte écrit il y a maintenant 70 ans, il résumait 300 ans d’administration municipale. Voici un court extrait.
L’histoire politique de cette ville n’est qu’une suite de progressions suivies de reculs, d’arrêts, de recommencements voués à de nombreux échecs. Après de trois siècles d’existence, Montréal se cherche encore un régime politique, comme les grenouilles de la fable se cherchaient un roi. La constitution anglaise a évolué dans le sens d’un progrès constant. La constitution canadienne s’est en quelque sorte cristallisée en 1867. À l’intérieur, les gouvernements provinciaux ont atteint, semble-t-il leur forme définitive.
Il n’en est pas ainsi de la métropole canadienne: «elle tourne en rond dans un champ aride et ténébreux.» Les siècles passés, l’exemple des villes qui l’entourent, ses propres expériences dans toutes les formes de gouvernement possibles ne lui ont rien appris. Son histoire ne manque pas pourtant de «ces grandes et terribles leçons», dont parle Bossuet: vains espoirs, tentatives illusoires, amendements éphémères, repentirs sans suite. La Ville retombe toujours dans l’ornière des insuccès, des récriminations, des difficultés financières, en dépit de certains essais qui paraissaient heureux, et de certaines périodes de calme qui s’annonçaient durables.
Plusieurs pages plus loin, Honoré Parent cite un autre livre, écrit il y a plus de 100 ans par le journaliste et ancien ministre Guillaume-Alphonse Nantel. Ce n’est guère plus joyeux :
Vers 1909, M. G.-A. Nantel publie La métropole de demain, ouvrage très intéressant qui dépeint bien l’état d’anarchie politique et administrative dans lequel gisait l’Hôtel de Ville en ce temps-là. Mais sa critique est constructive. Il dénonce avec vigueur le patronage et l’incompétence qui sont dans presque tous les domaines. Il oppose, au gâchis que Montréal présente, le système municipal de la ville de Paris qu’il offre en exemple.
Il est facile d’être affligé par les odeurs de scandale, les cafouillages administratifs et la complexité paralysante de l’agglomération montréalaise. C’est d’autant plus dommage que des constats semblables ont été faits à plusieurs moments de son histoire.
Ne nous laissons toutefois pas abattre. Souvenons-nous que cette petite ville qui, 60 ans, après sa fondation, n’avait pas plus de 2000 habitants, est au centre d’une région peuplée par la moitié de la population québécoise est qui accapare les deux tiers de son économie. Sa paralysie est d’abord politique : la valeur des immobilisations atteignait 15 milliards de dollars l’an dernier et on n’y a jamais vu autant de grues depuis 1976. On construit, on raccommode des quartiers, on élimine les parkings à ciel ouvert du centre-ville et on a érigé un superbe espace devenu le lieu de rassemblement des spectacles vivants. Je crois franchement que Montréal s’embellit.
Elle reste aux prises avec de vieux démons, mais l’annonce de sa mort me semble hautement prématurée.
Photo : Les célébrations du 300e anniversaire de Montréal, le 18 mai 1942
Archives de Montréal
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