
Gilles Duceppe, coprésident de la Commission d’examen sur l’assurance-emploi, et ancien chef du Bloc québécois. (photo: Ryan Remiorz/Presse canadienne)
La Commission nationale d’examen sur l’assurance-emploi coprésidée par Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais vient de se mettre en branle. Elle fera le tour du Québec, mènera des consultations et produira un rapport attendu le 30 novembre.
En public, le gouvernement et les coprésidents répètent surtout que l’objectif consiste à documenter les effets de la plus récente réforme du gouvernement Harper, à laquelle à peu près tout le Québec s’oppose, peu importe l’allégeance politique.
Mais quand on regarde de plus près le mandat de la commission, on constate qu’il est beaucoup plus large.
Ainsi, la commission devra «déterminer et documenter les impacts de la réforme de l’assurance-emploi au Québec»; «documenter les avantages et les désavantages du régime actuel»; «proposer des modifications au régime actuel afin qu’il réponde davantage aux besoins des Québécois» et «établir les paramètres d’un régime d’assurance-emploi qui concorderait avec les besoins du marché du travail québécois».
Ce dernier volet n’est pas anodin, puisque le Parti québécois a promis en campagne électorale de négocier le rapatriement de l’assurance-emploi dans le giron du Québec.
L’objectif étant de mieux l’arrimer au marché de l’emploi de la province, de tenir compte de ses particularités, comme les travailleurs saisonniers, mais aussi de mieux l’intégrer à la formation des travailleurs.
Gilles Duceppe affirme qu’il s’agit d’une question politique que les élus et le gouvernement trancheront dans un deuxième temps. Mais une partie de son mandat vise clairement à proposer le brouillon qui sera utilisé pour dessiner un éventuel régime québécois d’assurance-emploi. Le gouvernement Marois n’a pas inscrit la démarche dans le cadre de sa gouvernance souverainiste pour rien.
L’assurance-emploi est de compétence fédérale depuis 70 ans. Négocier son rapatriement ne serait pas facile. Ottawa a déjà fermé la porte. Et certains constitutionnalistes prétendent même qu’il faudrait un amendement constitutionnel, avec l’accord des provinces.
Mais au-delà des difficultés politiques, est-ce que l’idée est financièrement réaliste?
Voici quelques chiffres pour placer le débat, qui ne manquera pas de resurgir au détour du rapport Duceppe-Dionne-Marsolais.
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Ottawa ne met pas un sou dans le programme d’assurance-emploi. Il gère le régime, décide des critères, mais ce sont les employeurs et les employés qui cotisent afin de se donner une assurance collective en cas de pertes d’emplois.
En 2009, dernière année complète dont les chiffres sont disponibles au ministère fédéral des Ressources humaines, on constate que les Québécois ont versé 3,151 milliards de dollars en cotisations, alors que les chômeurs de la province ont reçu 4,026 milliards en prestations.
Un déficit cotisations-prestations de 875 millions de dollars. (plus de détails dans le rapport ici, en annexe tableau 3,17.)
Le Québec a alors versé 18,5 % du montant total canadien et a reçu 21,5 % des prestations au pays.
Il faut cependant préciser qu’il s’agit d’une année de récession, alors que l’économie était au plus mal. Le nombre de chômeurs a donc bondi.
D’ailleurs, pour une très rare fois depuis le milieu des années 90, le régime entier était déficitaire en 2009. Les employés et employeurs canadiens ont versé 17,1 milliards de dollars, alors que les prestations ont totalisé 18,7 milliards de dollars.
Ça ne veut pas dire que la balance cotisations-prestations était la même pour tous. Malgré l’état de l’emploi en 2009, l’Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont versé plus de cotisations au régime qu’ils n’ont reçu en prestations. C’est ce qui permet au programme de ne pas trop souffrir. Certaines régions où l’emploi se porte mieux compensent pour d’autres provinces qui peinent davantage.
…
J’ai demandé au ministère fédéral des Ressources humaines de me fournir les chiffres pour 2007, dernière année où l’économie roulait à fond de train.
La tendance s’inverse légèrement.
Ainsi, en 2007, les employés et employeurs du Québec ont cotisé à hauteur de 3,18 milliards de dollars au régime, alors que les chômeurs du Québec ont reçu 3,02 milliards en prestations. Un surplus de 160 millions de dollars. (voir le rapport ici, en annexe tableau 2.17)
Le Québec a alors versé 18,6 % du total canadien et reçu 25,7 % des prestations. Encore une fois, les provinces de l’Ouest et l’Ontario ont reçu moins de prestations que le total de leurs cotisations.
Le régime d’assurance-emploi était alors largement profitable. Les employés et employeurs canadiens ont versé 17,1 milliards de dollars dans la cagnotte, alors que les chômeurs ont reçu 11,6 milliards de dollars.
Pour ceux qui se demandent ce que le gouvernement fait avec l’argent du surplus, il le verse dans son fonds consolidé, de sorte qu’il fait ensuite ce qu’il en veut. C’est pour cette raison, le programme étant largement profitable depuis des années (soit depuis que les critères ont été passablement resserrés par le gouvernement Chrétien), que plusieurs affirment qu’il s’agit d’une taxe détournée. Mais ça, c’est un autre débat…
…
Quelques constats:
- Le Québec et les provinces maritimes sont toujours ceux qui ont le ratio cotisations-prestations le plus avantageux, que l’économie se porte bien ou mal, alors que l’Ontario et les provinces de l’Ouest reçoivent toujours moins que le montant de leurs cotisations. Pour ces dernières, le régime n’est jamais près du point d’équilibre.
- Pour que le Québec soit sur le point d’équilibre entre ses cotisations et ses prestations, l’économie doit rouler à fond la caisse. Dès que le marché de l’emploi ralentit ou languit, comme c’est le cas maintenant, le déficit se creuse rapidement. Pour le Québec, en temps de récession, le programme d’assurance-emploi avec les paramètres actuels coûterait cher au trésor public, souvent déjà mal en point dans pareille circonstance économique.
Et les 875 millions $ de 2009 ne constituent pas le pire scénario, puisque contrairement aux récessions précédentes, le marché de l’emploi au Québec durant la dernière (et courte) récession s’est maintenu à un niveau acceptable.
- Le régime dans son ensemble s’en tire bien, entre autres, parce que les régions du Canada ont des marchés de l’emploi différent.
- Si Québec souhaite rapatrier le régime d’assurance-emploi pour le bonifier, il faudra ajouter aux montants versés en prestations. Est-ce que le gouvernement augmenterait les cotisations des employés et employeurs du Québec pour maintenir le régime à flot? Aucune indication en ce sens pour l’instant. Si la commission Duceppe-Dionne-Marsolais veut l’améliorer à coût nul, il faudra qu’elle soit très créative.
- Si Québec rapatrie l’assurance-emploi, il faudra créer une structure de gestion pour s’en occuper. Service à la clientèle, inspecteurs… Des fonctionnaires, actuellement payés par Ottawa, devront s’en occuper pour le gouvernement du Québec. Il y aurait un coût. À moins que Québec négocie un transfert de fonds avec Ottawa pour la gestion, mais là, c’est de la haute voltige de négociations politiques!
Il y a une question de principe, mais aussi d’argent, dans le débat sur le rapatriement de l’assurance-emploi. La promesse du Parti québécois n’est pas simple à réaliser sur le plan politique, mais également sur le plan financier, le trésor public du Québec étant déjà fragile. Dans la vie, rien n’est impossible, mais le cas de l’assurance-emploi est complexe.
Gilles Duceppe, Rita Dionne-Marsolais et leurs comparses ont quelques mois pour y réfléchir. Et voir si des solutions existent.
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