En jurant dur comme fer devant lui qu’elle maintenait le cap sur le déficit-zéro dès 2013-2014, Pauline Marois faisait roucouler d’aise le Conseil du patronat (CPQ).
Dans un long discours livré à l’assemblée annuelle du CPQ, la première ministre – en profitant aussi pour remercier Pierre-Karl Péladeau «au nom de tous les Québécois» de s’être «proposé» pour «servir le Québec» en échange de quoi il fut nommé président du C.A. d’Hydro-Québec -, a surtout demandé au milieu des affaires de l’appuyer plus ouvertement dans sa difficile quête du déficit-zéro :
«On a entendu plusieurs groupes faire connaître leur déception et je ne les blâme pas. C’est normal. Là où je suis un peu déçue, c’est d’entendre si peu de voix nous appuyer. Nous nous sentons un peu seuls, parfois.»
Peut-être pourrait-elle aussi se demander pourquoi…
Alors que vendredi dernier, La Presse faisait état d’une rencontre privée entre la première ministre et quelques grands patrons du Québec inc. pour mesurer leur appui au cas où elle doive reporter le déficit-zéro d’un an, Mme Marois, quant à elle, affirme plutôt qu’au contraire, ce qu’elle attend d’eux est leur appui pour son atteinte rapide.
Ce mardi, à l’Assemblée nationale, elle reprenait d’ailleurs sa demande avec une candeur étonnante pour une chef de gouvernement:
«Je leur ai dit que j’avais besoin d’aide pour qu’ils nous appuient parce que c’est difficile de faire ce que l’on fait. Ça demande du courage.»
La candeur, elle réside dans sa confirmation d’une proximité marquée entre le politique et le milieu des affaires jusqu’au PQ. Mais aussi, dans le sentiment d’impuissance qui semble habiter Mme Marois quant à sa capacité de convaincre elle-même la population – et ses électeurs traditionnels -, de sa démarche.
De toute évidence inquiète des impacts électoraux de son choix (1)- au point même d’implorer un appui plus visible du Québec Inc. -, avec ou sans cet appui, la première ministre semble néanmoins s’entêter à foncer à tout prix vers le déficit-zéro. Quitte même, comme elle le notait ce mardi en période de questions, à puiser dans les réserves pour couvrir la baisse de revenus découlant du ralentissement économique créé en partie par les compressions imposées au nom du même déficit-zéro. Comme dit la chanson : «l’arbre est dans ses feuilles»…
À l’instar de la grande chasse au déficit-zéro des années Bouchard, ce même entêtement risque pourtant de produire les mêmes effets néfastes. Autant sur l’activité économique que sur la qualité déjà fragilisée des services publics et des grandes missions de l’État – notamment, la santé, l’éducation et la redistribution de la richesse.
Comme je l’expliquais dans mon billet de vendredi – «Le prix de l’austérité» -, un tel entêtement va toutefois à l’encontre de voix qui, de plus en plus nombreuses de par le monde, s’élèvent contre les conséquences négatives sur les économies et les populations nationales de ces mêmes politiques d’austérité ou encore, de déficit-zéro à tout prix.
Ces conséquences étant connues et documentées, Françoise David de Québec solidaire suggérait donc en point de presse que si la première ministre voulait vraiment «discuter» du sujet en public, qu’elle convoque :
«la Commission des finances publiques qui serait saisie d’un mandat spécifique, un mandat d’initiative pour évaluer la possibilité de reporter d’un an l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Donc, les députés participent à cette commission, et on pourrait aussi y entendre des experts, que l’on souhaite le plus indépendants possible, des milieux d’affaires.»
D’autant plus, notait-elle, que la demande n’est pas d’ignorer complètement l’équilibre budgétaire, mais de le reporter d’au moins un an pour le bien des «clientèles» visées par les compressions et les services publics.
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Pendant ce temps, l’opposition officielle libérale critique les compressions autant qu’elle appuie l’atteinte rapide du déficit-zéro. Cherchez l’erreur.
Même contradiction du côté de la CAQ. Son chef, François Legault, allant même jusqu’à invoquer une possible décote du Québec par les agences de notation si Mme Marois ne tient pas tête sur le déficit-zéro.
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L’otage des groupes de pression?
Alors, qui dit vrai dans toute cette histoire de plus en plus confuse? Est-ce La Presse lorsqu’elle avance que Mme Marois aurait cherché privément l’appui des gens d’affaires pour un report possible du déficit-zéro? Ou est-ce Mme Marois elle-même qui, au contraire, jure qu’elle implore leur appui pour son atteinte toujours aussi rapide dès 2013-2014?
Un indice se trouve peut-être dans ce même discours livré lundi à l’assemblée annuelle du Conseil du patronat. Mme Marois y disait ceci:
«Pendant la dernière campagne, on a entendu des gens répéter tous les jours que le Parti Québécois était l’otage des groupes de pression et que je n’aurais pas le courage de contrôler les dépenses. Or, c’est exactement ce que je fais, avec toute mon équipe. Et, oui, ça demande du courage.
J’ai dit très clairement en campagne électorale que notre gouvernement allait équilibrer les finances. Je vous le redis aujourd’hui : le gouvernement va équilibrer ses finances et réduire l’endettement du Québec!»
Serait-ce là une des clés expliquant son entêtement à vouloir atteindre le déficit-zéro dès 2013-2014? Du moins, pour le moment.
Au-delà de son espoir évident de voir l’équilibre budgétaire lui donner une victoire majoritaire à la prochaine élection, ce passage trahit un quelque chose de plus profond, de plus révélateur encore. Ce quelque chose est cette espèce de réflexe installé depuis plusieurs années au sommet du PQ consistant à répondre – pas toujours, mais souvent -, aux perceptions véhiculées par ses adversaires politiques au lieu de fonder sa prise de décision sur la raison d’État et une analyse étayée des faits.
Une de ces «perceptions» est justement celle d’un parti «otage des groupes de pression». Un parti qui, par conséquent, devrait se montrer plus intransigeant encore face à ceux lui demandant, contrairement au milieu des affaires, de retarder le déficit-zéro d’au moins un an. Question de tenter au moins d’atténuer ses conséquences néfastes sur l’économie et les services publics.
Or, lorsque Mme Marois dit se désoler de voir son parti perçu comme un «otage des groupes de pression» en se disant prête à faire ce qu’il faut pour briser cette même perception, il importe de bien comprendre de quoi il s’agit dans les faits.
Ceux qui, de leurs tribunes, dénoncent souvent les «groupes de pression» pour leur influence sur les élus, font habituellement référence aux «syndicats» et à la «gogauche» en général. D’où la nécessité, semble croire Mme Marois, de s’en libérer en prenant le chemin nettement moins social-démocrate d’un déficit-zéro rapide et des compressions douloureuses qu’il nécessite.
Pendant ce temps, le Conseil du patronat ou autres représentants du milieu des affaires, quant à eux, semblent rarement perçus par les gouvernements comme étant des «groupes de pression» dont ils courent tout autant le risque d’en devenir les «otages».
Et pourtant, ce sont bel et bien des groupes de pression. Qui plus est, leurs entrées dans les coulisses du pouvoir, tous partis confondus, sont nettement plus aisées et discrètes que celles dont jouissent bien d’autres «groupes de pression» pourtant plus souvent dénoncés…
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Pour la version complète du discours de Mme Marois devant le Conseil du patronat, c’est ici.
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Que se cache-t-il derrière les politiques de déficit-zéro et d’austérité?
Bref, pas étonnant qu’Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat, ait tenu à «féliciter» Mme Marois pour son «effort» «dans le cadre de la gestion de ses dépenses» tout en l’implorant de ne pas reporter l’atteinte du déficit zéro.
Et c’est là que ça devient très intéressant.
À preuve, cet extrait de ce qu’en rapporte ici Le Devoir:
«Le Conseil du patronat invite en même temps le gouvernement à s’échapper du mode de raisonnement traditionnel consistant à faire tomber le couperet sur tous les ministères, ou presque. Il appelle plutôt à un remodelage de l’État-providence québécois. « Est-ce qu’il y a des domaines d’intervention qui devraient peut-être être moins prioritaires et que l’État, pour des raisons d’équilibre, de mission effective, devrait peut-être laisser tomber telle ou telle mission?», s’est interrogé à haute voix M. Dorval. Il s’est toutefois gardé d’esquisser des pistes de solution, jugeant que « ce n’est pas au Conseil du patronat de dire au gouvernement : “voici la mission à abandonner”. C’est à la société », a affirmé M. Dorval.
Et voilà dans toute sa splendeur le but ultime et amplement connu des politiques de déficit-zéro à tout prix ou d’austérité plus destructrices encore.
Le premier objectif étant, sous prétexte d’un équilibre budgétaire obsessionnel, de réduire petit à petit le rôle de l’État dans la création et la redistibution de la richesse – autant en rendant les régimes fiscaux moins progressifs qu’en affaiblissant le caractère universel et «gratuit» des principales missions de l’État.
Le second objectif – conséquence du premier -, est d’ouvrir petite à petit au secteur privé une partie des mêmes domaines d’activité dont les États se désengagent pour cause de compressions majeures imposées au nom d’un équilibre budgétaire érigé au rang de dogme économique.
En cela, M. Dorval n’évente aucun grand secret, ni grand complot. Dans les années 80 et 90, soit pendant ou après les années Reagan et Thatcher, cette recette fut déjà largement éprouvée…
Ce qui en étonne plusieurs depuis le dépôt du budget Marceau en novembre dernier est la persistance avec laquelle le Parti québécois, tout en se disant social-démocrate, s’enfonce néanmoins dans ce même schème de pensée, ce même dogme, depuis le dernier référendum. Quitte à couper, semble-t-il, jusque dans l’aide sociale.
Au point où Mme Marois, en entrevue avec Le Soleil, se disait même incapable de «donner suite à des motions votées à l’unanimité à l’Assemblée nationale» réclamant «que les pensions alimentaires destinées aux enfants ne soient plus amputées des prestations d’aide sociale». «Nous n’en avons pas les moyens maintenant. Ça ne veut pas dire que nous ne le ferons pas plus tard», de dire la première ministre.
Comme quoi, les dogmes peuvent rendre sourd et aveugle, voire même muet. Du moins, sur certains sujets…
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«La souveraineté, c’est payant», mais pas tout le temps…
Ainsi, devant le même Conseil du patronat, Mme Marois n’a soufflé mot de l’option de son parti et de son gouvernement.
Et ce, même si le Parti québécois venait à peine de revamper son site web et de lancer sa nouvelle campagne de «promotion de la souveraineté».

Slogan sur le site du Parti québécois: «La souveraineté pour tous»… mais pas nécessairement devant des gens d’affaires…
Dans une série de mini-capsules au «look» fort professionnel et diffusées sur le site du PQ, la première ministre y vante pourtant les nombreux avantages économiques de l’indépendance. Une d’entre elles se termine même avec Pauline Marois lançant : «La souveraineté, c’est payant. Très payant!».
Peut-être, mais pas tout à fait assez, on dirait bien, pour en parler devant le Conseil du patronat. Et ce, malgré le sujet de son allocution, laquelle portait pourtant en grande partie sur l’économie et les finances publiques.
Il faut dire que cette campagne de promotion est limitée à l’internet et semble surtout viser les militants eux-mêmes ainsi que les souverainistes passés quant à eux soit à Québec solidaire, soit au jeune parti Option nationale de Jean-Martin Aussant. Donc, pas vraiment de quoi à inquiéter le milieu des affaires.
Après tout, sous prétexte d’être minoritaire, le gouvernement Marois a délégué au Parti québécois la responsabilité de promouvoir l’option souverainiste – scindant ainsi pour la première fois sur ce sujet le discours du gouvernemental de celui du parti.
Bref, c’est comme si en 2007, au moment où il se retrouvait minoritaire, Jean Charest avait délégué au PLQ la promotion du fédéralisme et renoncé du même coup à la porter comme chef de gouvernement ou à y investir des ressources publiques pour la soutenir.
Inconcevable, en effet.
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Le monde est petit…
À cette même assemblée annuelle, le Conseil du patronat, comme il le fait à chaque année, récompensait également «l’engagement de personnalités importantes au développement économique du Québec en intronisant trois nouveaux membres à son prestigieux Club des entrepreneurs».
Parmi ces trois récipiendaires, on retrouvait le docteur Sheldon Elman, fondateur du «groupe santé» privé Medisys – «le plus grand fournisseur privé de services de soins préventifs de santé au Canada». Sa note biographique rappelle aussi qu’en 2008, il «a cofondé Persistence Capital Partners, un fonds de capital d’investissement établi à Montréal et axé sur les occasions d’affaires et la croissance dans le domaine des services de santé au Canada».
Persistence Capital Partners est aussi la firme privée à laquelle Philippe Couillard s’était joint comme associé après son départ du gouvernement Charest dans des circonstances qui lui avaient valu une enquête du Commissaire au lobbyisme du Québec. (Au terme de cette enquête, le commissaire n’avait conclu à aucune contravention à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme du fait que messieurs Couillard et Elman avaient tenu des rencontres privées pour établir les modalités de leur association à venir au moment où M. Couillard était encore ministre.)
Eh oui. Comme le monde est petit, tout de même…
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Addendum:
(1) Cette inquiétude chez Mme Marois, on en trouve d’ailleurs un indice encore plus concret dans un sondage publié au lendemain de la mise en ligne de ce billet. Dans le cadre de son enquête mensuelle faite de manière non-probabiliste, CROP place le PQ à 25%, le PLQ à 38%, la CAQ à 22% et Québec solidaire à 11%.
S’il fallait que de prochains sondages indiquent une chute tout au moins comparable du PQ et une remontée à nouveau marquée du PLQ sous Philippe Couillard, il est toutefois à se demander si la première ministre et son entourage finiront un jour par entendre et comprendre les sirènes d’alerte qui, pourtant et au-delà des hauts et des bas des sondages, ne cessent de s’accumuler au fil des ans pour le Parti québécois.
(Sur le sujet, voir mon billet du 13 mars: «Quand les sirènes d’alerte se multiplient».)
Quant au taux d’insatisfaction envers le gouvernement Marois, à 65%, il demeure élevé. Ce qui commence à prendre des airs de tendance lourde.
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