Les Princes du monde n’exercent plus l’autorité absolue. Ils n’envahissent plus leurs voisins. Depuis 1989 et la victoire du marché, l’ennemi que l’on aimait diaboliser a disparu, et le nouvel ennemi est insaisissable : il se nomme terrorisme islamique, désindustrialisation, délocalisation, ou bien encore corruption, crise bancaire, déficit. Nous avons quitté, écrit Kemp, le jeu d’échecs pour le damier, la stratégie pour la tactique et, finalement, Prince ou Princesse ne sont plus que des gérants qui doivent composer avec les « événements ». Plus les vassaux accèdent au confort, moins ils pardonnent quelque dérangement que ce soit, manifestations d’étudiants ou salles d’urgences congestionnées. « Paradoxalement, jamais la fatalité n’aura autant pesé sur le Prince que depuis que les hommes sont devenus moins fatalistes », car même les cataclysmes naturels lui sont imputés, au titre de changements climatiques.
À l’évidence, les 27 États de l’Union européenne se disputent l’autorité. Républicains et démocrates à Washington se paralysent mutuellement. Même le petit Bhoutan, sur les pentes de l’Himalaya, avec son objectif de bonheur national, ses frontières culturelles bien gardées et ses immenses parcs naturels, se retrouve, de l’avis de ses propres dirigeants, dans un cul-de-sac : la compétitivité internationale se moque des utopies. « Un grand État-nation d’aujourd’hui n’est pas bien différent d’un grand club de football avec ses joueurs internationaux », dit l’auteur en se désolant. Quid du Québec ? À mon avis, il ne rêve plus, il se contente de hockeyeurs qui ne parlent pas sa langue, et son beau projet de souveraineté a du plomb dans l’aile, mis à mal par l’immigration nécessaire, la libre circulation des flux financiers et, depuis une trentaine d’années, par les multiples accords de libre-échange, qui accentuent les interdépendances.
D’où il s’ensuit que « le Prince ressent aujourd’hui le besoin pressant de tout gérer et de tout contrôler ». Il légifère « à tour de bras », car il lui faut éviter d’être tenu responsable des « événements » qui perturbent la vie de sa nation. Pour moins s’agiter et mieux gérer, Percy Kemp, après Machiavel, suggère d’utiliser quatre instruments politiques : le renseignement, l’escompte, la mystification et la diversion. Le renseignement requiert sondages et espions, l’escompte consiste à neutraliser les événements fâcheux avant qu’ils arrivent ou, s’ils éclatent, que le Prince recoure à la mystification médiatique afin d’aveugler les foules, sans oublier de faire diversion en désignant (avant toute enquête) un coupable à blâmer. Kemp n’incite pas le Prince ou la Princesse à une gérance médiocre, mais au contraire à rechercher la perfection dans l’art de rassurer le peuple, qui ne demande pour son bonheur, disait déjà le Machiavel de Denys Arcand, que « confort et indifférence ».
Le Prince, par Percy Kemp, Seuil, 140 p., 24,95 $.
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