
Photo : Mario Beauregard / La Presse Canadienne
Maintenant qu’il est chef du Parti libéral du Canada, que fera Justin Trudeau du Québec? Vaste question.
Même si le pouvoir politique et économique au pays glisse irrémédiablement vers l’ouest, sur le plan électoral, ni le PLC, ni le NPD ne peuvent se permettre de se passer du Québec.
Le NPD devant son statut d’opposition officielle aux votes des Québécois, son chef Thomas Mulcair ne peut néanmoins rien prendre pour acquis. Même s’il compte 57 sièges au Québec, que fera-t-il pour convaincre ses électeurs qu’ils ont fait le bon choix en 2011? À suivre.
Côté Bloc, avec ses 5 députés et un chef peu visible, sa santé demeure hautement fragile. Elle le serait d’autant plus si le PQ, déjà minoritaire, venait à perdre le pouvoir avant l’élection fédérale de 2015.
Pour les libéraux, Justin Trudeau est un choix risqué au Québec. Il peut espérer y séduire une bonne partie du vote fédéraliste francophone inconditionnel et même gruger dans le peu de platebandes restant à Stephen Harper. Mais encore?…
Engagez-vous, qu’il disait…
Or, pour le moment, le nouveau chef libéral n’offre rien d’autre aux francophones dits «nationalistes mous» que l’écho perçant de la voix de son père.
Dimanche soir, à son discours de victoire, Justin Trudeau a certes fait les beaux yeux «aux Québécois et aux Québécoises», mais sans rien de clair, ni de concret.
Pis encore, son appel aux Québécois à «laisser à d’autres les veilles chicanes» pour, dit-il, redevenir «des bâtisseurs du Canada», rappelle un peu trop la promesse faite jadis par son père d’installer à Ottawa ce qu’on appellerait le French Power.
Venez à Ottawa avec moi ou votez libéral, leur disait Pierre Trudeau, et vos intérêts, votre langue et vos droits seront mieux protégés au pouvoir. Engagez-vous, qu’il disait…
Le problème pour son fils Justin est que l’histoire du régime trudeauiste en a fait la démonstration contraire.
La tour d’ivoire
Malgré l’omniprésence à Ottawa de ce French Power, incluant une députation libérale québécoise massive, Trudeau père aura malgré tout mis toutes ses énergies à combattre le nationalisme québécois. Et ce, sous toutes ses forces. Sa victoire ultime, il la récoltera d’ailleurs avec son rapatriement et sa Charte des droits adoptée en 1982 sans le consentement du Québec.
Si Justin Trudeau s’enferme à double tour dans la tour d’ivoire de son père sur la question du Québec, il risque d’y tourner en rond bien piteusement et pour longtemps.
En fait, il y est condamné à terme. Depuis l’avènement du règne de son père, le Parti libéral du Canada demeure foncièrement allergique à toute forme de nationalisme au Québec se faisant le moindrement revendicateur.
Ce n’est pas un hasard si Martin Cauchon – seul candidat à la chefferie libérale à avoir osé parler de la nécessité de parler de la question du Québec, s’en est vu puni d’un maigre 2,7% d’appuis.
Jusqu’à preuve du contraire, sur la question nationale du Québec et les rapports Québec-Canada, Justin Trudeau épouse encore et toujours l’essentiel de la vision de son père.
En 2006, dans cette entrevue donnée en anglais, il se montrait déjà aussi fermé et méprisant sur le sujet que son père. Des propos qu’il reprendra d’ailleurs ici et là au cours des années suivantes.
À moins qu’il n’ait discrètement évolué depuis, il serait étonnant de le voir aujourd’hui ouvert à l’idée d’offrir au Québec un élargissement quelconque de ses pouvoirs au sein du Canada. Et encore moins, une reconnaissance constitutionnalisée de son caractère national. Ce serait l’équivalent pour un curé de renier la doctrine de l’immaculée conception…
Toujours pressé de réduire la question des rapports Québec-Canada à de vulgaires «veilles chicanes», il est clair que sur le fond des choses, le Justin Trudeau de 2013 a peu cheminé.
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Devinez qui vient dîner…
À preuve, ce mercredi, de surcroît à la veille de sa première visite au Québec comme chef du PLC, Justin Trudeau récidivait.
L’occasion? Son premier caucus en tant que chef tombait – par un de ses hasards dont la vie politique a le secret – précisément le 17 avril 2013. Soir le jour même du 31e anniversaire du rapatriement de la constitution et de l’adoption de la Charte canadienne des droits sous le règne de son père, Pierre Trudeau. Le tout, sans l’assentiment du Québec.
Sur le site web du Globe and Mail, on peut d’ailleurs visionner quelques moments marquants de ce premier caucus baptisé pour l’occasion par Justin Trudeau «Charter Day» – le jour de la charte. Sur le site web du PLC, on peut même visionner ici son discours au grand complet. Je vous laisse juger de ses propos…
Or, pour bien des Québécois dont l’âge dépasse la quarantaine, d’entendre Justin Trudeau reprendre le même discours que son père sur 1982 risque de ressembler pas mal plus au jour de la marmotte qu’au «jour de la charte»…
Et en effet, en ce 17 avril 2013, ce fut bel et bien le jour de la marmotte.
Aux prises avec les allégations troublantes de l’historien Frédéric Bastien sur des manigances de palais qui se seraient étendues jusqu’au sommet de la Cour suprême en 1981 et une motion votée tout juste la veille à l’unanimité par l’Assemblée nationale demandant au gouvernement Harper d’ouvrir toutes ses archives sur les événements de 81, Justin Trudeau répétait bel et bien le même discours et les mêmes arguments que son père pour justifier l’isolement du Québec.
C’est la faute aux séparatistes…
Et donc, à l’instar de Pierre Trudeau, son fils blâme encore René Lévesque pour cet isolement parce qu’il était «souverainiste». Rien ne le fera changer d’idée là-dessus. Sûrement pas le fait que le premier ministre Lévesque ait négocié jusqu’à la dernière minute lors des négociations constitutionnelles légendaires de novembre 1981.Ce qui, d’ailleurs, avait royalement hérissé de nombreux souverainistes qui n’y voyaient qu’un immense piège politique.
Rien ne fera changer d’idée Justin Trudeau sur 82.
Pas même le fait qu’avec son Renvoi de septembre 1981, la Cour suprême rendait une décision qui permettrait à Trudeau père, s’il réussissait à bien manoeuvrer avec les autres provinces, d’arracher ultimement son rapatriement sans le Québec.
Ni le fait que son père savait pertinemment que l’Assemblée nationale, tous partis confondus, n’aurai jamais avalisé cette charte des droits telle que Pierre Trudeau la voulait, c’est-à-dire taillée sur mesure pour réduire certains pouvoirs du Québec, incluant en matière linguistique.
Et encore moins le fait que depuis 1982, tous les partis siégeant à l’Assemblée nationale ont également rejeté le rapatriement de son père tel qu’opéré sans le Québec. Ou encore, que son père aura grandement contribué à torpiller l’Accord du Lac Meech qui, en 1987, cherchait d’un point de vue fédéraliste à réparer les pots cassés par son même rapatriement.
Comme disent si bien les Anglais: «don’t let the facts get in the way of a good story»…
Poussant l’enveloppe encore plus loin, Justin Trudeau en profitait pour décrocher une droite partisane au NPD, son principal adversaire au Québec, en l’accusant presque de crime de lèse-charte:
«Le NPD a toujours été particulièrement tiède dans son approche quant à la Charte des droits et libertés en raison de la façon malheureuse dont Québec a choisi de ne pas signer la Constitution parce qu’il avait un premier ministre provincial qui était souverainiste au début des années 1980.»
Une belle manière de gagner des votes au Canada anglais, avouons-le.
Et, en passant, le premier ministre «provincial» dont parle Justin Trudeau était René Lévesque…
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Dans ces circonstances, on donnerait vraiment cher pour entendre les échanges qu’aura Justin Trudeau ce jeudi avec le nouveau chef du PLQ, Philippe Couillard, dont la plateforme pour la chefferie comprenait son désir de renégocier la constitution de 82.
Ou encore, avec le chef caquiste François Legault qui, après avoir banalisé les allégations d’ingérence politique du juge en chef de la Cour suprême en 81, changeait d’idée cette semaine avoir s’être fait admonesté publiquement par son grand ami Lucien Bouchard.
Le charme de Justin Trudeau l’aidera sûrement à éviter l’incident diplomatique, mais jamais autant que ne le ferait une vision moins bornée sur la question du Québec que celle de son père.
Or, comment même imaginer le voir un jour renier ce qui, après tout, constitue la substantifique moelle de la doctrine politique de son père?
Jusqu’à maintenant, tout au moins, il n’aura donné à personne la plus petite raison de croire que même chef de parti et premier ministre en attente, Justin Trudeau serait capable de voir et comprendre la question nationale au Québec autrement que ne le faisait son père.
Comme son père, il refuse de voir le Québec comme une nation moderne qui, vu dans une perspective fédéraliste d’unité nationale, nécessiterait par définition un statut et des pouvoirs conséquents au sein d’un pays que Justin Trudeau jure pourtant dur comme fer d’aimer et de comprendre jusqu’au tréfonds de son âme…
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En complément:
Si la nature du rapport politique qu’entretient Justin Trudeau et qu’entretenait Pierre Trudeau avec la question du Québec vous intéresse, permettez-moi de vous suggérer bien humblement la série de trois billets d’analyse que je publiais sur le sujet en décembre dernier.
Vous en trouverez la première partie ici; la seconde ici et enfin, la troisième, ici.
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