
Photo: site web Justin.ca
En devenant chef du Parti libéral du Canada (PLC) sans avoir vraiment fait ses preuves sur la scène politique, Justin Trudeau court-il le risque de succomber au fameux principe de Peter? En d’autres termes, aurait-il atteint son niveau d’incompétence?
Si la question se pose en regard du manque flagrant d’idées substantielles soumises durant la course à la chefferie, la réponse ne viendra sûrement pas avant plusieurs mois encore.
Or, même si la prochaine élection fédérale n’est que dans deux ans et demi, le Parti conservateur de Stephen Harper n’a pas perdu une seconde pour y répondre. Pas le choix.
En plus du NPD à l’opposition officielle dirigé par un Thomas Mulcair déterminé à tenter de prendre le pouvoir en 2015, le premier ministre se retrouve également face à un Justin Trudeau passablement populaire. Du moins, pour le moment.
C’est une véritable dynamique politique à trois qui s’installe dorénavant à Ottawa.
D’où la dureté des premières publicités dites négatives sur le nouveau chef libéral lancées dès son couronnement. Une opération de toute évidence préparée de longue date.
Le disant «sans jugement» et «inexpérimenté», le message des conservateurs rappelle en effet ce même principe de Peter…
Comme on s’y attendait, Stephen Harper reprend la même tactique dont il s’était servi avec succès contre les deux prédécesseurs de Justin Trudeau – Stéphane Dion et Michael Ignatieff.
Cette fois-ci, les conservateurs ont acheté deux domaines pour mener leur campagne où l’on peut visionner leur première vidéo sur Justin Trudeau. En anglais, c’est au www.justinoverhishead.ca et en français, c’est au www.justinpasalahauteur.ca.
Première salve, la vidéo qu’on peut visionner ici, ridiculise entre autres choses ce qui est présenté comme un «striptease» fait par Trudeau alors que dans les faits, ce dernier avait retiré sa chemise dans le cadre d’une levée de fonds pour la Fondation canadienne du foie. En d’autres termes, il était prêt, métaphoriquement parlant, à «donner sa chemise» pour une bonne cause…
Sur ces mêmes deux domaines du web où le Parti conservateur n’est pas clairement identifié comme étant leur auteur, le message suivant y est néanmoins posté: «Veuillez donner 15 $ ou 20 $ pour que plus de Canadiens puissent voir nos annonces.» C’est seulement lorsqu’on clique sur le lien du don que l’on atterrit sur un site du Parti conservateur.
Et ce n’est pas tout.
Les conservateurs étant renommés pour leur mépris des médias, on y trouve aussi une section visant à discréditer quatre journalistes atteints, peut-on y lire, de «trudeaumanie» avancée :
«Préparez-vous. La Trudeaumanie est là. Elle se répand de journaliste en journaliste, surtout dans la région d’Ottawa. Des reportages fébriles. De vieux clichés. Une prose tarabiscotée. Un mélange de métaphores. Voici une sélection de certains de nos journalistes préférés à Ottawa qui se pâment pour Justin Trudeau, comme ils l’ont fait pour Stéphane Dion et Michael Ignatieff avant lui. Le mouvement prend de l’ampleur. Accrochez-vous bien pour ne pas être emportés.»
Bref, pour ce qui est du respect de la liberté de presse, on repassera. Comme d’habitude…
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Le bras dans le tordeur
En réaction, Justin Trudeau dit refuser de jouer dans ce film-là et ajoute préférer des publicités qui, promet-il, seront positives.
Dans un message envoyé aux libéraux, il y voit par contre, lui aussi, une bonne occasion pour lever de fonds et les invite, quant à lui plus modestement, à «contribuer 5$ pour nous aider à répandre notre propre message de changement positif».
Quant aux médias – ayant amplement constaté la grande efficacité des publicités conservatrices contre les Dion et Ignatieff -, la réaction est fort différente. Incluant chez des experts en marketing.
Même le Globe and Mail, en éditorial de surcroît, s’est donné la peine de conseiller fortement au jeune chef libéral de «combattre le feu par le feu» sinon il serait certain, selon le quotidien, de passer pour un «faible».
Les publicités négatives font maintenant partie du paysage politique canadien
Le fait est que depuis leur première victoire en 2006, les conservateurs de Stephen Harper ont réussi à imposer ce type de publicités négatives à la sauce américaine dans la dynamique politique canadienne. Qui plus est, elles semblent fonctionner plutôt bien auprès des segments spécifiques de l’électorat qu’elles visent d’une manière tout à fait chirurgicale.
En refusant d’y répondre directement, Stéphane Dion et Michael Ignatieff ont rendu la tâche d’autant plus facile à la grosse machine bleue des conservateurs.
Le résultat en fut l’installation sur la scène fédérale – à demeure et à sens unique -, de cette forme toute particulière de communication politique. Ce qui, on ne s’en sort pas, a aussi contribué à durcir et polariser considérablement et le jeu politique et l’électorat lui-même.
Cette polarisation, les publicités négatives l’alimentent en trois temps:
1) Définir rapidement l’adversaire à la négative en s’en prenant surtout à certains traits de sa personnalité.
2) Éviter, ce faisant, d’avoir à débattre sur les enjeux de fond.
3) Conforter et mobiliser sa propre base en faisant appel à l’émotion d’une manière apte à provoquer chez celle-ci un sentiment profond d’aversion pour l’adversaire ciblé. Ce sentiment visant surtout à polariser l’électorat, il est tout à fait attendu que ces mêmes publicités soulèvent en même temps l’ire de tout ce qui gravite à l’extérieur de cette même base que l’on cherche ainsi à conforter et à mobiliser...
En s’assurant de tirer toutes ces «ficelles» à la fois, la tactique en question peut être d’une efficacité redoutable auprès des clientèles visées. Le fameux «effet boomerang» voulant qu’une publicité négative discrédite plus son auteur que sa cible est donc plutôt rare, du moins, auprès de ces dernières.
Quoique, pour les conservateurs, d’avoir utilisé cette fois-ci des images provenant d’une levée de fonds pour une cause respectée touchant même certains de leurs propres supporteurs n’était certes pas tout à fait, quant à leurs propres intérêts, l’«idée du siècle»…
Un autre problème majeur résultant de cet usage répété de publicités négatives est l’accoutumance et la désensibilisation qu’elle crée au sein de l’électorat.
Parce que le gouvernement Harper y a recours de manière systématique depuis des années, de plus en plus de Canadiens y sont tout simplement habitués au point de les attendre dès qu’un nouveau chef de parti se pointe du côté de l’opposition.
La question n’est plus à savoir si publicités négatives il y aura, mais plutôt quand les conservateurs les sortiront. Elles font maintenant bel et bien partie de la nouvelle «norme» en politique fédérale.
D’où le risque fort réel de laisser faire en espérant, comme le fait Trudeau, que tout cela finira par discréditer les conservateurs eux-mêmes.
Une situation classique de double contrainte
En fait, la normalisation par les conservateurs de ce type de publicité négative hautement personnalisée et caricaturale place leurs adversaires dans une situation classique de double contrainte.
Ou les chefs visés laissent passer et ce faisant, permettent à ces pubs de faire seules leur boulot qui est de conditionner dans ce même sens une partie suffisante de l’opinion publique. Ou ils glissent le bras dans le tordeur en diffusant leurs propres publicités négatives. Auquel cas, ils risquent de se voir accuser de verser dans la même démagogie et d’alimenter la même dynamique malsaine.
Cette situation de double contrainte, c’est ce que les Anglais appellent le principe du «damned if you do and damned if you don’t».
La realpolitik commande de riposter en usant des mêmes armes tandis que le silence, s’il fait foi d’une vision autre de la politique, sera inévitablement perçu comme un signe de faiblesse.
Or, si plusieurs «conseillent» aux chefs visés d’y plonger ou non, l’analyse et la réflexion devraient tout autant porter sur l’effet aussi inquiétant que délétère qu’ont ces publicités sur une joute démocratique qu’elle vient fausser irrémédiablement. Et ce, indépendamment de qui elles visent…
D’autant que leur efficacité maintenant éprouvée dans la plupart des cas fait qu’elle s’incruste de plus en plus dans le paysage politique.
Et dans le cas de Justin Trudeau, nul doute que ça ne fait que commencer.
Parions que les conservateurs ont déjà dans leur besace une collection entière de matériel sur le nouveau chef libéral. Question de bien meubler leurs prochaines publicités d’ici l’élection de 2015…
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Addendum:
Ce mardi, le Toronto Star prenait une initiative novatrice en choisissant, quant à lui, l’arme de la dérision.
Avec un brin d’ironie et se moquant ouvertement de la première vidéo des conservateurs sur Justin Trudeau, le quotidien torontois invitait ses lecteurs à lui faire parvenir leurs propres publicités négatives pastichées. Qu’elles portent sur Justin Trudeau, Stephen Harper ou Thomas Mulcair… À suivre.
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