La tension qui règne depuis le début de l’année dans la péninsule coréenne a tout de la pièce de théâtre habituelle. Depuis le début des années 1990, Pyongyang a en effet pour habitude de recourir aux rodomontades et aux provocations pour tester le pouvoir en place à Séoul et pour attirer l’attention de la communauté internationale, en premier lieu des Etats-Unis. Il n’y a donc pas lieu de paniquer lorsque le régime de Kim Jung-un, affirmant que la sécurité n’est pas garantie dans les prochains jours, enjoint les diplomates étrangers de quitter Pyongyang et conseille aux étrangers de quitter la Corée du Sud. En revanche, la posture nucléaire que semble avoir adoptée la Corée du Nord constitue un dilemme stratégique majeur pour la communauté internationale, et particulièrement pour Washington.
La Corée du Nord n’est pas – pour l’instant – une menace existentielle pour les États-Unis
Le dernier clip de propagande vantant le courage et le leadership de Kim Jung-un ne devrait pas manquer d’émouvoir les quelques nostalgiques de la période soviétique, ni de rappeler les périodes les plus tendues de la guerre froide. Pour autant, la Corée du Nord ne constitue pas une menace imminente pour la sécurité nationale des Etats-Unis.
Dans des déclarations récentes, Pyongyang a identifié des cibles américaines, que ce soit Washington, Hawaï (où est situé le quartier général du Pacific Command), ou encore la Californie (San Diego est par exemple le principal port d’attache de la flotte du Pacifique). Une pluie de missiles dotés d’ogives nucléaires ne s’abattra cependant pas sur le territoire américain dans les jours ou les semaines qui viennent. Il n’y a pas plus de hordes de soldats nord-coréens prêts à envahir la côte ouest des Etats-Unis comme des scénaristes farfelus l’imaginent à Hollywood.
La menace nord-coréenne ne doit toutefois pas être totalement négligée. Au cours des derniers mois, Pyongyang a démontré sa volonté et sa persévérance à se doter de technologies pouvant atteindre les Etats-Unis. En décembre 2012, elle parvint à mettre en orbite un satellite, faisant ainsi la preuve de ses avancées dans la maîtrise des missiles balistiques. En février, elle conduisait avec succès un troisième test nucléaire.
Bien que la Corée du Nord ne soit pas encore en mesure d’équiper un de ses missiles d’ogives nucléaires, ces développements tendent à valider une évaluation de l’ancien secrétaire américain à la Défense, Robert Gates. Il estimait en janvier 2011 que le régime nord-coréen disposerait d’ici 5 ans de missiles capables d’atteindre les Etats-Unis. Il se pourrait donc que d’ici la fin du second mandat de Barack Obama, la Corée du Nord soit, avec la Russie et la Chine, le troisième pays pointant des missiles nucléaires vers le territoire américain. Et cela sans oublier qu’elle reste par ailleurs une puissance proliférante ayant déjà vendu ses technologies militaires à l’Iran, au Pakistan, ou encore à la Syrie.
La posture nucléaire nord-coréenne, un défi pour Washington
Pyongyang n’a pas les moyens à court terme de lancer des missiles nucléaires contre les Etats-Unis. De surcroît, les responsables américains estiment que les dirigeants nord-coréens sont des acteurs rationnels dont l’objectif premier est la survie. Dès lors, il demeure improbable qu’ils utilisent une arme nucléaire, contre les Etats-Unis ou contre un de leurs alliés régionaux (Corée du Sud et Japon).
La crise actuelle met cependant en évidence le défi stratégique que représente la posture nucléaire nord-coréenne pour Washington. Sans être exagérément alarmiste, la situation qui prévaut en ce moment augmente sensiblement les risques d’affrontement conventionnel et, par conséquent, d’escalade vers l’emploi de l’arme nucléaire par les Nord-Coréens. En effet, dans l’éventualité d’un conflit, les forces américaines et sud-coréennes, très nettement supérieures à celles de la Corée du Nord, seraient en mesure de facilement traverser la frontière et de marcher sur Pyongyang. Dans ce contexte et s’ils ne se résignent pas à trouver refuge en Chine, les décideurs nord-coréens, dont la survie même serait menacée, pourraient être tentés de recourir à la menace nucléaire afin de stopper l’avancée d’ennemis militairement supérieurs. Une telle stratégie ou posture nucléaire n’est pas nouvelle. Pendant la guerre froide, c’était celle privilégiée par l’OTAN face à la supériorité conventionnelle des forces du Pacte de Varsovie.
Que faire face à une telle stratégie d’escalade nucléaire ?
Depuis 1989, les présidents américains, leurs conseillers à la sécurité nationale et les secrétaires d’État ont offert des garanties de non-agression et manifesté une ouverture au dialogue à pas moins de 33 reprises. Entre 1994 et 2008, les Etats-Unis ont consenti une aide alimentaire, économique et énergétique considérable à la Corée du Nord. Deux anciens présidents (Clinton et Carter) ainsi que divers représentants américains (allant de l’orchestre philarmonique de New York au patron de Google) s’y sont rendus avec pour objectif de nouer un dialogue. Les présidents Clinton, Bush et Obama ont chacun adressé des lettres aux dirigeants nord-coréens pour leur signifier leur intention d’arriver à un accord. Aucune de ces initiatives diplomatiques ne s’est avérée concluante ; Pyongyang ayant poursuivi son programme d’armement nucléaire.
Si la diplomatie ne semble pas fonctionner, Washington et Séoul doivent cependant tout faire pour éviter que la crise actuelle ne dégénère en conflit armé. D’une part, même si Américains et Sud-Coréens mobilisent des moyens militaires dans la région, ils doivent éviter tout geste qui pourrait être mal interprété par Pyongyang, ou qui pourrait servir de prétexte. C’est dans ce but explicite que le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel a annoncé le report d’un test de missile balistique. Les Américains doivent également s’assurer que les Sud-Coréens n’aient pas de réaction exagérée advenant un geste belliqueux de la part de Pyongyang.
D’autre part, les planificateurs militaires américains et sud-coréens doivent développer des options de riposte réellement limitées. En cas d’agression nord-coréenne, une riposte devrait se contenter de cibler tel ou tel équipement militaire relativement secondaire et non des installations névralgiques (centre de commandement, figures du régime, installations nucléaires) qui pourrait faire craindre au régime de Pyongyang que sa survie est menacée.
Comment gérer un ennemi matériellement plus faible mais dont la possession de l’arme nucléaire annihile la supériorité militaire des Etats-Unis ? Cette question était au cœur de l’équilibre de la terreur pendant la guerre froide et les Etats-Unis l’avait tournée à leur avantage face à l’URSS. Elle n’a manifestement pas disparu. La situation dans la péninsule coréenne et les velléités nucléaires de l’Iran démontrent même qu’elle constitue un dilemme stratégique majeur auquel Washington n’a pas encore de réponse.
Julien Tourreille
Directeur adjoint de l’Observatoire sur les États-Unis
Chaire Raoul-Dandurand | UQAM
Twitter @JTourreille
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