Kalagan et Mikaël ont eu 2 parcours très différents. Le premier est blogueur et webmaster. Le second est journaliste. Après s’être rencontrés à Lille en 2008, ils participent au lancement de la start-up Music Story, encyclopédie musicale en ligne de référence. Mickaël y était secrétaire de rédaction et chroniqueur musical. De son côte, Kalagan effectuait son stage de fin d’études. En 2009, ils emménagent en colocation. Aujourd’hui, ils voyagent ensemble et militons pour un tourisme alternatif. Nous avons interviewé Mickaël.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans un blog sur le voyage ?
Le voyage nous a toujours titillés l’un et l’autre. Kalagan particulièrement après sa visite du Cameroun en 2009, qui fut un déclic pour lui. Moi après deux mois passés en Palestine à encadrer des adolescents d’un camp de réfugiés, à l’été 2004. J’avais le désir de découvrir l’Amérique latine depuis mon adolescence, ce que je remettais sans cesse aux calendes. Kalagan était assez tenté aussi, quand on en parlait lorsque nous étions en coloc. Les choses ont mis un peu de temps à se concrétiser, mais il nous fallait surtout un projet qui donne du sens à ce voyage, afin qu’il ne soit pas qu’une « consommation de paysages », comme cela est courant. Ma conviction politique, socialiste, fraternaliste, internationaliste, et le souvenir qui m’était cher de ces ateliers à Bethléem, tout comme chez Kalagan une première expérience d’enseignement dans un orphelinat kényan de Nairobi, nous donnèrent envie de construire un projet afin de transmettre nos savoirs, nos compétences.
Je le dis et l’écris souvent : les luttes sociales de nos aïeux et la sociale-démocratie, d’ailleurs aujourd’hui menacé, ont fait de nous Français et Européens de l’ouest, des privilégiés, en regard d’une majorité des pays du reste du monde. Nous héritons d’un niveau d’éducation, d’une liberté d’expression et de pensée, de systèmes de protection sociale et sanitaire, que la plupart des pays du monde ont raison de nous envier… et que, par inertie et paresse civiques, ignorance ou ingratitude, nos peuples laissent détruire par leurs dirigeants ralliés au néolibéralisme, c’est-à-dire à la foi en la croissance, en l’économie de marché et en la nécessité d’un État aux prérogatives limitées… dont les conséquences destructives sur le monde ne me semble même plus contestables.
Deux projets émergèrent donc : l’un consacré à la promotion de notre vision du voyage et du tourisme alternatif, le blog collaboratif Voyageurs du Net ; l’autre, une association destinée à enseigner le journalisme en français à des élèves apprenant le français dans le réseau des Alliances françaises ou bien dans des instituts de langue. Notre premier atelier a eu lieu à Quetzaltenango (Guatémala), de septembre à novembre 2012. Nous avons d’ailleurs publié plusieurs articles de nos élèves, et pas seulement sur VDN d’ailleurs, dont nous sommes très fiers en raison de leur qualité. Tous les articles réalisés dans ce cadre traitent du phénomène touristique – qu’il s’agisse d’articles en critiquant les excès, voire les fondements mêmes, ou qu’il s’agisse d’articles promouvant d’autres formes de voyage – et d’écologie, les travaux permettant de toucher à des questions économiques, politiques, sociales, etc.
Mais notre activité principale est centrée sur le blog Voyageurs du Net.
En quoi consiste Voyageurs du Net ?
Comme je l’ai précisé dans le premier éditorial de l’année 2013, notre blog a une double vocation : présenter une parole critique, politique, analytique, sur le fait touristique, ses présupposés, ses lieux communs, ses réalités méconnues, ses abjections ; mais aussi et surtout présenter des façons de voyager alternatives aux grands opérateurs touristiques et aux centres de vacances, dont j’ai dit, dans un article sur Cancún publié sur Ragemag, tout le mal que j’en pense.
Nous avons vocation donc, à faire connaître des projets communautaires et écotouristiques, des lieux méconnus et insolites, à inciter les gens à sortir de leur zone de confort, d’une vie répétitive où les désirs de loisir comme tous les autres sont préfabriqués et ne laissent aucune place au danger le plus élémentaire, souvent le plus dérisoire, qui est celui de la rencontre d’autrui. Nous avons commencé à parler d’initiatives collectives qui s’avèrent politiquement exemplaires et inspirantes : des communautés qui prennent se réapproprient les terrains de leurs ancêtres, les prennent en charge, les dépolluent, sensibilisent à l’environnement ; une association engagée dans la réhabilitation d’une décharge illégale en forêt tropicale ; des démarches de protection de la faune et de la flore (chimpanzés de Pongo, au Cameroun ; lagune aux crocos de la Ventanilla, au Mexique)…
Nous croyons aussi, en France, comme ailleurs, au bienfait des fêtes et jeux populaires, des traditions. Nous avons ainsi parlé d’une compétition estivale des plus drôles : le lancer de tongs, qui a lieu chaque année en Gironde. Dans un registre assez proche, nous publions en janvier un article de Kalagan sur un concours annuel anglais : une course à flanc de colline à la poursuite d’un fromage !
Je suis assez consterné de la tendance de certains voyageurs à s’émerveiller de l’« authenticité » de tel paysan d’un lointain pays, cependant que l’agonie de la paysannerie française et européenne ne lui cause pas un battement de paupières. De même, on s’émerveille sur telle tradition artisanale du Maroc, du Mexique ou d’Inde, sans réaliser que les artisanats et traditions européens ont été dévastés par le capitalisme, l’industrie et l’attrait pour les valeurs libérales, avec notamment la concurrence de marchandises toc produites par des travailleurs sous-payés.
On sent que vous défendez des idées anti-capitalistes
Il faut ouvrir les yeux non pas seulement quand on voyage, mais les garder grands ouverts quand on revient. L’intérêt que l’on porte à des propos de comptoir ailleurs, pourquoi ne l’a-t-on pas pour le bistrot de quartier ? Pourquoi ce qui est « authentique » ailleurs est considéré beauf chez nous ? Je crois qu’il faut en finir avec le mépris des classes populaires et de ce qui reste encore de culture populaire et n’a pas été détruit par la culture de masse, celle qui vient d’en-haut, de ce territoire abstraits et sot des médias, de MTV, et non des terroirs et des quartiers. Il y a souvent bien plus de bon sens, d’expérience et de pragmatisme dans des propos de comptoir que dans le PMU télévisuel et bourgeois tenu par Yves Calvi et nommé « C dans l’air ».
Nous assumons donc pleinement une ligne éditoriale socialiste – au sens du XIXe siècle, c’est-à-dire anticapitaliste, encourageant l’autonomie collective, la fraternité, le don, le souci d’autrui –, populiste – au sens où nous croyons au ressources de ce « bas peuple » que trente ans de mépris ressassé dans les médias nous ont appris à méconnaître et mépriser, et à cataloguer de « beaufs ». Notre ligne éditoriale se veut une invitation non seulement au voyage, mais à penser le voyage autrement, donc sa responsabilité individuelle en voyage, son regard sur le monde lointain aussi bien que prochain. Un voyage décent et non voyeur, comme c’est le cas du tourisme de la pauvreté. Un voyage respectueux et conscient des enjeux environnementaux, et non irresponsable comme dans tous les centres du tourisme de masse. Un tourisme alternatif, en quelque sorte.
– Pourquoi avoir choisi des sujets assez variés ?
Parce que ! Voilà. En fait le voyage alternatif, c’est-à-dire alternatif au tourisme de masse, cela recouvre une diversité de possibilités dont nous voulions rendre compte. Si on n’a pas d’imagination et de curiosité, on achète son séjour de 3 semaines au Club Merde… On s’éloigne temporairement d’une vie où rien n’arrive qui ne soit quadrillé par la production et la consommation, pour un espace où rien ne peut arriver. Mais si on veut faire quelque chose d’un peu différent, il faut avoir un peu de curiosité pour des pays sur lesquels les agences de tourisme ne se sont pas rués comme une invasion de puces. Ainsi a-t-on parlé de plusieurs pays d’Afrique (Cameroun, Kenya, Burundi…), largement méconnus des touristes, ou de lieux inédits : les grottes de Naïca au Mexique, tel hôtel particulier du sud du Portugal, construit au début du XXe siècle et laissé à l’abandon depuis quelques années, etc.
Vous êtes donc plutôt attiré par des pays peu connus ?
Certains veulent consommer du paysage, du soleil du pittoresque ou du must-have-seen, rentabiliser en un minimum de temps leur investissement. Dans certains cas, cela n’est pas forcément mauvais. Dans le pire des cas, cela donne ces touristes qu’on peut voir à Paris (j’en parle pour y avoir vécu, mais le phénomène est le même partout ailleurs), qui courent en une semaine du Louvre – pour se hâter de prendre une photo avec les doigts en V et un sourire idiot, devant une Mona Lisa dont on ne comprend ni admire vraiment la subtile, l’exigeante beauté – aux Champs-Elysées, de la Tour Eiffel à Montmartre… et se faire vider le porte-feuille dans tous les attrape-couillons de la place, en pensant avoir vu de l’authentique… I love Paris ! Alors qu’à Paris, il y a tant de façons merveilleuses – et pas si coûteuses – de passer un séjour vraiment différent. Il y a tant de musées méconnus et qui méritent la visite ; j’ai notamment parlé du Musée des Arts forains, dans le XIIe arrondissement. Mais il y en a bien d’autres. Et sans parler des parcs, des rues et galeries étonnantes où il est bon de se perdre au hasard de marches interminables, en toute période de l’année…
On peut voyager au Maroc sans aller se claquemurer dans des clubs de vacances, simplement en ayant de la curiosité, de l’imagination. On peut enchanter même son environnement immédiat, familier : c’est ce que font les amateurs d’exploration urbaine, qui visitent des friches industrielles, églises désaffectées, lieux abandonnés, dont le charme fantomatique a quelque chose de pénétrant, qui donne à penser le dérisoire et la fragilité des humains et de leurs constructions. On peut aller à Cancún et se vautrer dans la porcherie de sa zone hôtelière… mais on peut aussi aller dans la ville où vivent les vrais Mexicains, et non pas ceux folklorisés pour l’agrément des cons-sots-mateurs vacanciers, ou, mieux, descendre, à 6 heures de bus, dans un endroit plus calme et magnifique : la lagune de Bacalar.
Il existe encore mille façons de voyager, qui nous surprennent, pour le meilleur ou le pire. Le pire dans le cas du tourisme des bidonvilles, ou du tourisme ethnologique, qui font des pauvres et des tribus reculées, des objets de curiosités et sont en fait l’avatar des zoos humains, qu’on n’a que délocalisés. Le meilleur dans les cas de voyages à vélo, de voyage à pied, de voyage en voiture électrique, à cheval, de voyages participatifs… ou même thématiques, de personnes passionnées : faune et flore, archéologie et culture, ascensions de volcan et randonnées, surf, etc.
Pourquoi avoir fait un blog communautaire ?
Nous avons simplement constaté l’éclatement, l’éparpillement, la multiplicité de blogs de voyage, des associatifs et professionnels du voyage. Beaucoup de projets très intéressants, mais formant un archipel, un ensemble désuni, et peinant à se faire connaître et reconnaître. Nous nous sommes donc dit qu’il conviendrait de créer une plate-forme de visibilité pour ces divers projets, qui de façons très concrètes et diverses luttent pour promouvoir d’autres formes de voyage et de tourisme.
Nous avons tôt eu la confiance de plusieurs professionnels du voyage : Sophie Paumard d’Heure Vagabonde, Pascale Petit de Human Trip, Enzo Schyns de Cyclocosmos étant les plus réguliers et motivés par notre initiative.
Nous partons du principe proverbial que l’union fait la force et que, partant, face à l’énorme pouvoir de séduction et de propagande du capitalisme, tout en restant dérisoirement petits face au mastodonte du tourisme de masse, nous pouvons à tout le moins œuvrer à donner de la visibilité et une cohérence, disons un drapeau commun à cet archipel.
Combien de personnes travaillent pour ce blog ?
Il faut bien avoir conscience que nous lançons un site, avec un angle particulier, exigeant, qui signifie que nous devrons refuser des propositions – ce sur quoi bien des blogueurs-voyageurs sont moins scrupuleux, acceptant tout et n’importe quoi pour leur égoïste intérêt : celui d’engranger de l’argent sans considérations morales pour voyager. On peut citer l’exemple d’un blogueur-parasite bien connu dans la blogosphère : Stefan Tanned, également connu sous les pseudos Rock, Tanned ou Crabetan, et qui administre une dizaine de sites très médiocres sur des thématiques très variées, qui ressemblent davantage à une ferme de contenus destinés à provoquer du trafic (et donc des propositions tarifées) qu’à fournir une information de qualité. Résultat, symptomatique du capitalisme libéral contemporain : on fait de la merde en quantité, on ferme les yeux sur la qualité… et on empoche l’argent.
Nous, notre vision est bien plus exigeante et c’est pourquoi, pour l’heure, nous consacrons nos économies au lancement de ce projet. C’est un travail à temps plein, mais ce n’est pas un travail qui rémunère, pour l’heure. J’invite d’ailleurs tous ceux qui croient que gagner de l’argent en administrant un blog de voyage est une chose facile à vraiment reconsidérer les choses. La blogosphère du voyage a parfois des airs de far west et de ruée vers l’or. Administrer un blog, l’alimenter, le faire connaître, acquérir du trafic et, des revenus publicitaires ou autres, est une chose extrêmement difficile. Quiconque envisage de devenir un nomade digital devrait imaginer la réalité de ce travail : 5 à 8 heures de travail quotidien 5 jours par semaine, dans des chambres d’hôtel à la connexion parfois approximative… S’il n’y a pas la passion et le goût de communiquer, si le seul objectif est l’argent, cela ne sert à rien de se lancer.
Comment voyez-vous l’avenir de votre blog ? Quels sont vos futurs projets ?
Nous allons travailler cette année à améliorer notre visibilité et notre référencement, à conquérir un lectorat plus nombreux et qui partage nos convictions et notre curiosité, à renforcer les liens avec les professionnels et associatifs du voyage et à étendre notre communauté de blogueurs réguliers ou ponctuels. S’ensuivra la question de la monétisation, qu’il est encore trop précoce pour aborder sans ridicule.
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