Sans doute avez-vous vu passer cette tribune polémique lancée sur Libération et relayé dans divers médias. C’est ce qui s’appelle un buz. Un site, une page Facebook de plusieurs milliers de membres déjà, des interventions ici et là. Tapez sur Google « barrez-vous » pour avoir une idée…
Rien de plus normal, car leurs trois auteurs ont leurs entrées dans les médias. Il s’agit en effet de MOULOUD ACHOUR, bien connu des habitués du Grand Journal sur Canal+, de FÉLIX MARQUARDT, fondateur des Dîners de l’Atlantique et des Submerging Times Dinners , MOKLESS, rappeur, auteur interprète.
Pourquoi j’en parle sur ce blog voyage me direz-vous ? Et bien, tout simplement, car l’essentiel du message rejoint celui d’Instinct Voyageur. Enfin, en partie.
Le texte que je vous invite à lire ici a été conçu pour susciter la polémique. Pari plutôt gagné vu les diverses réactions. Le texte est intéressant et le message incite à la réflexion. En gros, les trois acolytes, après avoir critiqué une France immobile et déprimante, incitent à aller voir ce qui se passe ailleurs, à voyager, voir à s’installer ailleurs qu’en Europe. Car la croissance et l’avenir sont désormais dans les pays du « Sud ».
L’herbe est-elle plus verte ailleurs ?
Les traits sont certes grossis et un peu clichés. De ce fait, la lecture du texte peut appeler un certain nombre de critiques.
Tout d’abord, qui sont ces trois-là pour donner des leçons ? Sont-ils vraiment bien placés pour cela ? Après tout, ce sont plutôt des privilégiés qui font un travail qu’ils aiment avec un certain succès. On imagine mal Mouloud quitter le Grand Journal pour faire un tour du monde en backpack. Non ? Enfin, pourquoi pas …Bref, facile de hausser la voix à leur place. Ont-ils déjà franchi le pas ? Sont-ils déjà partis dans l’inconnu à l’autre bout de la terre ? D’un autre côté, est-il vraiment nécessaire d’être parmi les concernés pour faire passer un message ?
D’autre part, leur message pousse à la fuite, à partir de France, loin de ce pays qui ne va pas très bien. Si tout le monde fait cela, le pays ne va pas s’arranger. N’est-ce pas une attitude égoïste ?
Mais pour moi, la principale critique porte sur le fait que le texte donne trop dans l’idée que oui, ailleurs, tout est mieux, l’herbe y est plus verte. Or, c’est faux. Comme tout dans la vie, il y a du bien et du moins bien.
Allez dans les pays du Sud, certes, c’est en général assez facile quand on est un blanc-occidental-avec un minimum- d’argent. On est en général assez bien accueilli, pas de problèmes pour cela. À tel point que l’on oublie la véritable face de beaucoup de ces sociétés : des sociétés où le libéralisme a crée bien souvent d’immenses inégalités. Point d’État providence, c’est chacun pour sa pomme. Se soigner et s’éduquer est hors de prix et il n’y a pas d’ascenseur social. Ceux qui ont le pouvoir, les milieux financiers et économiques, pressent encore plus la population.
Les auteurs parlent d’une élite de quelques milliers d’hommes qui décident de tout en France. Soit, c’est un fait. Ce sont ceux qui ont le pouvoir financier et économique qui ont le dernier mot. Pour autant, c’est bien pire ailleurs et ne pas en tenir compte frise l’omission volontaire. Si en France, c’est quelques milliers de personnes qui décident, dans bien des pays du monde, ce sont parfois juste quelques familles. Lors de mon voyage au Guatemala, j’ai assisté en partie aux élections présidentielles dans ce pays. C’était vraiment intéressant de voir comment la population est instrumentalisée aux mains des quelques familles qui ont le pouvoir économique.
Et que dire de la corruption ailleurs. En France, on est au pays des bisounours en comparaison. Et puis, en France, nous avons vraiment des contre-pouvoirs venant de la société civile. Ce qui permet de contrebalancer et de limiter les dégâts. Ailleurs, il n’y a parfois rien.
En Colombie, il est rare que la population manifeste, pourtant il pourrait y avoir de quoi. Juste un exemple, les Colombiens payent leur essence très chère alors que c’est un exportateur. Pourquoi ? Et bien, car ils n’ont pas de raffinerie à eux. Tout appartient aux multinationales étrangères qui font ainsi encore plus d’argent sur le dos du pays. Les politiques ne vont rien changer, car ils sont achetés par les pétrodollars. La population ne sait rien de cela (pas d’éducation de culture et de liberté de presse). Et quand bien même, quand on leur en parle, ils sont fatalistes et l’acceptent. C’est d’ailleurs un trait qui me parait assez contradictoire avec l’optimisme naturel de la population.
Dans ce même pays, les banques pressent encore plus le citron, c’est à dire la population. Laisser votre argent dans une banque en Colombie, vous allez carrément perdre de l’argent entre les taxes, l’inflation et le faible taux d’intérêt. Pire qu’en France. Et que dire du crédit immobilier qui est presque à 10%.
On trouve parfois, dans ce genre de discours, une espèce d’admiration envers les États-Unis. Surtout de la part des entrepreneurs. Je n’ai jamais compris pourquoi. Là, aussi, la vision est souvent manichéenne et les discours ne tiennent pas compte de tous les aspects. Certes, la société américaine favorise la liberté d’entreprise et c’est une bonne chose assurément.
Mais quid de tous les autres aspects ? Il y a de plus en plus de pauvreté aux USA, déjà bien plus qu’en France. La société y est plus inégalitaire. Les étudiants sont déjà enchainés au système en raison des gros prêts contractés pour leurs études et qu’ils doivent rembourser pendant des années. Société de l’hyper consommation, les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens, accumulant une dette énorme. Tout cela avec une politique étrangère agressive, multipliant les guerres, ce qui dans l’histoire est le signe de la fin des Empires.
Les richesses d’un voyage autour du monde
Là, où je suis vraiment d’accord avec eux, c’est que l’on se doit d’aller voir ailleurs. Oui et trois fois oui. Je suis tout à fait d’accord quand ils disent que « rien ne vaut l’ivresse qui vient avec la conscience du monde et de l’autre du voyageur : partir, c’est découvrir qu’on ne pense pas, ne travaille pas, ne communique pas de la même manière à Paris, à Guangzhou ou au Cap. » N’est ce pas d’ailleurs le message de ce blog voyage et du Manifeste du Voyageur ?
Je suis aussi d’accord quand ils disent que passer du temps à l’étranger favorise la créativité. C’est ce que j’ai toujours ressenti. Et c’est somme tout logique. Être dans un autre environnement, évoluer dans une autre culture permet de mettre en relief la sienne, c’est stimulant. La créativité favorisée, c’est encore plus vrai lorsque vous avez peu de biens matériels avec vous. Votre esprit est plus léger…
Voyager, c’est s’enrichir assurément. J’en parlais d’ailleurs dans un article du blog sur « pourquoi voyager ». Et puis, un voyage peut changer une vie.
Il est clair que la France et une bonne partie de l’Europe ne vont pas très bien. Et que l’avenir n’est pas très rose. L’avenir, c’est de pays comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, la Turquie ou la Colombie. Il faudrait que la France embrasse une troisième révolution industrielle reposant sur les énergies vertes et le partage de l’énergie. Mais rien ne change, et pour cause la démocratie n’est axée que sur le court terme et le lobby pétrolier est puissant.
Et puis, tout le monde ne parle que de croissance, de production, de PIB etc. Tout le monde fait l’autruche sur l’essentiel : quel est le sens de produire toujours plus ? L’augmentation du PIB n’est pas liée à la courbe du bonheur. Sans parler du coût pour la planète.
Et puis, n’est-ce pas normal que la croissance soit partagée ? Que le dynamisme change de place pour que les moins avancés en profitent ? La moitié de la planète a suffisamment exploité l’autre moitié.
En France, c’est vrai que les gens sont plutôt pessimistes, et parfois trop critiques. Si vous voyagez en Colombie, vous vous rendrez peut-être compte que c’est presque l’opposé. Dans une récente étude, les Colombiens étaient parmi les 10 pays les plus optimistes. La France était numéro un il me semble. Aux antipodes de l’optimisme donc.
Il y a d’ailleurs une expression bien française qui est révélatrice. Vous savez le fameux « pas mal ! » que beaucoup de Français emploient pour signifier « ah génial, tu as réussi ! ». Je sais que ce n’est qu’une expression, du même genre que dire « ca va ? » en guise de salutation (alors que vous ne le pensez pas). Mais tout de même, il y a là un truc. Les Colombiens n’emploieront jamais cette expression, et ceux qui ont passé du temps en France trouvent cela bizarre et révélateur. Ils n’ont sans doute pas tort…
Les Français sont aussi parfois trop critiques, on est souvent plus dans la réflexion que dans l’action. C’est vrai. Pourtant, c’est grâce à cela qu’il y a eu des révolutions et des avancés sociales en France. Il y a cette culture de la critique en France, et c’est plutôt une bonne chose.
France, je t’aime
Perso, je ne voyage pas pour fuir la France. J’aime ce pays et je suis vraiment heureux d’être né en France. C’est pour moi l’un des plus beaux pays au monde. Et pourtant, on ne peut pas dire que je n’ai pas voyagé. La France, c’est aussi la meilleure cuisine au monde. La France, c’est une puissance culturelle, une belle langue, un excellent système de santé et une des meilleures éducations au monde. C’est un certain art de vivre où tout n’a pas été sacrifié au productivisme. C’est une société où la culture a sa place. N’êtes-vous pas d’accord ?
Je n’ai pas l’intention de me barrer complètement. Du moins pas pour l’instant. Et même si je suis peu en France, cela ne me dérange pas de payer mes impôts en France. L’idéal est pour moi de prendre le meilleur des deux mondes. Et d’en faire son cocktail perso ! Il est vrai que c’est plus facile pour moi, étant un digital nomade.
L’impression que le texte peut donner je trouve, c’est que les auteurs semblent jeter le bébé avec l’eau du bain.
Mis à part cela et les critiques ci-dessus, ce « barrez-vous » n’est pas mal. Pardon, c’est bien ! Et malgré le trait grossier, un tel appel ne peut pas faire de mal !
Un avis ? Une envie de vous barrer ?
Recherches qui ont permis de trouver cet article:
- bisounours attitude
- pinte et cocktail
Consultez la source sur Instinct-voyageur.fr: « Barrez-vous Non mais je n’ai pas envie moi