Je viens tout juste de causer récits de voyage, en compagnie de Lio Kiefer et de Laura-Julie Perreault, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit, à Radio-Canada. Puisque je n’ai pas pu aborder le dixième de ce que j’avais préparé pour cette table ronde, je me permets de livrer ici certaines de mes réflexions préalables.
D’abord, comment décrire cette forme d’écriture particulière? Par quelque chose comme un amalgame d’écriture de roman ou de nouvelle, de journalisme culturel ou social, de journalisme critique ou de consommation, avec quelque pincée d’éditorial et, pourquoi pas, d’un peu de poésie, quand l’occasion s’y prête.
En fait, le journalisme de voyage se décline en plusieurs variantes, qui va du style “brochure promotionnelle” (à éviter) jusqu’au style littéraire, en passant par l’information brute, simple et concise – qui est souvent le lot des blogues. Entre les deux, tout est possible.
En tout état de cause, ce type de journalisme permet une grande liberté de plume – encore faut-il trouver le bon média pour se le permettre -, ce qui est sans doute son plus grand avantage et sa plus grande force (outre celui de voyager). Voici quelques règles de base à suivre pour le pratiquer, à mon humble avis.
Sur le terrain
-Être curieux, allumé, proactif et attentif: c’est le b.a.-ba pour bien saisir l’esprit des lieux.
-Demeurer objectif et ne pas se laisser influencer outre mesure par un guide (physique, s’entend), un guide de voyages ou la réputation d’un lieu, parfois surfaite. Si on vous met un guide dans les pattes, s’évader au moins quelques heures par jour!
-Cela dit, visiter un lieu en compagnie d’un guide (et surtout d’un résidant) procure ses avantages: il permet de sortir des sentiers battus, de découvrir des jardins secrets, de voir les choses d’un autre oeil. Récemment, au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, j’ai appris une partie de l’histoire de la Russie rien qu’en écoutant mon guide décrire les tableaux. Avec un audioguide, je ne me serais jamais rendu si loin.
-Idéalement, se laisser diriger (au moins un peu) par l’imprévu: c’est le fondement même de l’aventure, laquelle mène souvent aux meilleures histoires ou à des trouvailles originales.
-Parfois, mieux vaut planifier: je n’aurais pas pu débarquer à Küstendorf, petit village touristique serbe d’Emir Kusturica, et visiter les lieux en compagnie du cinéaste, si je ne m’étais pas annoncé.
-Lire des romans en lien avec le lieu où on voyage: certains détestent, et ça peut autant biaiser qu’éclairer. Mais ce qui est sûr, c’est que ça vous remet les choses en perspective. Sans Le Portail, de François Bizot, je n’aurais pas pu écrire sur le Cambodge comme je l’ai fait; sans La douleur du dollar, de Zoé Valdès, je n’aurais pas vu La Havane du même oeil.
-Récolter le plus d’information possible, des cartes d’affaires, des adresses électroniques: ça finit toujours par servir à quelque chose.
-Idéalement, coucher ses impressions sur papier le plus vite possible, ou développer les notes prises à la va-vite (les photos aidant) à chaque soir. À cet égard, alimenter un blogue est parfait: ça vous force à mettre vos idées en place.
Sur papier
D’abord, trouver un ou des fils conducteurs: un personnage, une amorce, une thématique, et y revenir au fil du récit (ce n’est pas une règle d’or mais ça donne généralement de bons résultats). On peut aussi s’éloigner de l’amorce et y revenir dans la chute, ce qui procure souvent son petit effet.
Idéalement, il faut raconter une histoire. Ça cimente agréablement les éléments rapportés et contribue à les structurer… Sans compter que tout le monde aime se faire raconter des histoires.
Décrire les lieux et les ambiances, c’est bien, mais pas à outrance, sinon on tend vers la brochure de voyage, on perd l’intérêt du lecteur et tous les lieux finissent par se ressembler. Parce qu’une plage idyllique restera toujours une plage idyllique.
Parler aux gens et les intégrer dans le récit: les mettre en scène et citer leurs tournures de phrases colorées ou leur vécu, ça pimente le récit, ça permet d’incarner les lieux ou de comprendre rapidement leur réalité. L’hiver dernier, j’ai passé la semaine avec un guide béninois qui était un fervent adepte du vaudou; un jour, par hasard, nous avons rencontré une Québécoise venue évangéliser le pays, “parce que le vaudou n’est pas une religion”, a-t-elle dit devant mon guide. Les étincelles que leur rencontre a créées m’ont donné une très bonne amorce pour mon article…
Quand on manque de matière première, il est fort utile de faire parler davantage les gens. Pour mon article sur les Îles de la Madeleine, publié l’an dernier dans L’actualité, j’avais presque terminé une entrevue quand j’ai demandé à mon interlocuteur s’il n’avait pas d’autres anecdotes à me raconter. Celle dont il s’est rappelé était particulièrement truculente, et elle est devenue l’amorce de mon article.
Une technique que j’ai utilisée à quelques reprises, pour créer des articles originaux, consiste à me mettre dans la peau de mon fils et imaginer ce qu’il écrirait après son expérience de voyage. Après un périple avec lui à DisneyWorld, alors qu’il avait 4 ans, j’ai écrit de son point de vue en signant l’article de son nom et en prétendant que j’avais traduit son texte “du langage puéril vers le français adulte”.
Toujours garder à l’esprit le lectorat pour lequel on écrit: on ne parle pas aux lecteurs de Géo Plein Air de la même façon qu’on le fait avec ceux de Elle Québec, par exemple.
À mes débuts, je montais des banques de mots dans lesquelles j’allais puiser pour colorer mes articles. Même si je n’ai plus recours à cette technique fastidieuse, j’ai quelque peu récidivé dans un article sur Hiva Oa, l’île des Marquises où repose Jacques Brel. J’ai alors intégré à mon récit plusieurs extraits de paroles de ses chansons, autant pour le pimenter que pour évoquer son oeuvre.
Quand c’est possible, j’aime d’ailleurs intégrer ce genre de référence dans mes articles, de façon plus ou moins subtile. Ça crée une sorte de jeu avec le lecteur, dans le genre: “trouvez le nombre de références introduites dans ce texte”. Comme le faisait Goscinny dans Astérix…
Parfois, en écrivant sur les voyages, on se sent peintre (Le Devoir, Urbania, un blogue personnel) avec comme seule limite le canevas du nombre de caractères; parfois, on se doit d’être architecte: le client a une commande, des règles, voire un “moule” dont on ne peut pas toujours sortir (enRoute, L’actualité).
Du reste, l’écriture de voyage se prête aussi fort bien aux néologismes: anarchitecture pour décrire un foutoir architectural; des gens qui s’amouraillent (du verbe fictif “s’amourailler”), dans un article sur le Japon…
Ce type d’écriture permet aussi de flirter avec la fiction: j’ai ainsi inventé un dialogue entre Dieu et les hommes, au tout début de Jérusalem-en-Bavière, un article sur le village allemand d’Oberammergau.
Enfin, une bonne façon de se pratiquer à écrire sur le voyage mais sous la contrainte consiste à rédiger une carte postale en lien avec l’image qui apparaît à l’endos, et essayer de rendre le tout intéressant. Je l’ai fait abondamment lors d’un voyage de six mois en Europe et au Maroc; je le fais encore aujourd’hui pour mes enfants, à chacun de mes voyages. Et puis, la carte postale n’est-elle pas l’ancêtre du microbillet (tweet)?
Quelques livres lus en voyage
-L’Odyssée d’Homère: pour constater que certaines choses n’ont pas changé, en Grèce, depuis des millénaires (comme le yogourt au miel), et pour retrouver des descriptions toujours d’actualité;
-Le portail, de François Bizot: à lire sans faute au Cambodge, notamment parce que certains Khmers rouges font encore partie du décor politique;
-La douleur du dollar, de Zoé Valdès: on entre dans le quotidien cubain et on a droit à une belle critique du castrisme;
-Le Lion, de Joseph Kessel: à lire au Kenya, pour mettre en parallèle l’histoire ancienne (un Masaï tuait jadis un lion pour devenir un homme) et actuelle (c’est maintenant interdit), entre autres choses.
Des bédés pour ne pas voyager idiot
-Fable de Venise, de Hugo Pratt: l’auteur a grandi dans cette ville et il nous y emmène dans ses recoins les plus méconnus, à travers sociétés secrètes et rites cabalistiques, toujours en compagnie de Corto Maltese, son héros nostalgique;
-Pyongyang, Chroniques de Jérusalem et Chroniques birmanes, de Guy Delisle: la vie au quotidien et le point de vue socio-politico-personnel d’un papa bédéiste, lors de ses séjours prolongés en terre étrangère.
Pour me suivre sur Twitter, c’est par ici.
Consultez la source sur Lactualite.com: Quelques réflexions sur le récit de voyage